Les implications de la « cellule Demeter »

Déméter est la déesse grecque de l’agriculture et des moissons ; c’est le nom choisi par l’État pour sa « cellule nationale de suivi des atteintes au monde agricole ». Elle vient d’être annoncée par le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner (le 13 décembre) et dépend de la gendarmerie qui l’a mise en place le 3 octobre.

Les vegans sont les premiers concernés, non pas car ils volent des tracteurs pour les collectionner comme le raconte Valeurs Actuelles il y a peu, mais de par la signification de ce dispositif. Il s’agit en effet :

a) de bloquer l’activisme visant à filmer les élevages, d’en parler, etc. ;

b) de bloquer l’activisme visant à bloquer les élevages, en mode « désobéissance civile » ;

c) de criminaliser les activistes opérant depuis la clandestinité, en premier lieu l’ALF.

Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur, présente lui-même la chose de manière on ne peut plus parlante :

« Depuis quelques années, un phénomène grandit, inacceptable. De plus en plus, nos agriculteurs sont visés par des intimidations, des dégradations, des insultes. Des individus s’introduisent dans leurs exploitations agricoles et les bloquent. Ils font des films aux commentaires orduriers, avant de jeter les exploitants en pâture sur les réseaux sociaux. Parfois même, les intrus dégradent, cassent et volent.

En se multipliant, certains actes confinent à l’absurde. Je pense à ces militants animalistes responsables de la mort de plus de 1 400 animaux dans l’Eure pour leur avoir fait peur en s’introduisant dans un élevage de dindes.

Ces phénomènes, nous devons les prendre très au sérieux : ils gâchent la vie des agriculteurs, inquiets chaque jour de savoir ce qui peut leur arriver. Ils nourrissent l’agribashing, la défiance et l’hostilité. »

Mais il faut donc ajouter un autre point essentiel à ceux mentionnés plus haut :

d) de fusionner éleveurs et agriculteurs (cultivant la terre) – deux activités séparées – en un seul bloc promouvant le « terroir ».

L’opération a ici une immense portée culturelle. Il faut d’ailleurs ajouter les chasseurs, puisqu’il s’agit vraiment de former un bloc éleveurs – agriculteurs (cultivant la terre) – chasseurs. En pratique, cela ne peut être contré que lorsque les vegans diront, de manière fort logique, que les agriculteurs cultivant la terre ont tout à gagner à un pays végétalien. Il y a ici une réflexion à mener.

Il y a surtout une conséquence très importante, qu’il faut bien saisir. Voici ce que dit le ministre de l’Intérieur :

Créée au sein de la Gendarmerie nationale, la cellule Demeter va permettre :

– d’améliorer notre coopération avec le monde agricole et de recueillir des renseignements ;

– de mieux connaître les groupes extrémistes à l’origine des atteintes et de pouvoir anticiper et prévenir leurs actions ; 

– de pouvoir gagner en efficacité par des actions et des enquêtes mieux coordonnées. 

Cela implique des enquêtes approfondies sur le mouvement végan, des infiltrations, le recueillement de renseignements complets à tous les niveaux, etc. Si nous n’avons jamais utilisé Facebook, c’est justement pour éviter une telle situation. Avec Facebook, nous aurions démultiplié notre écho, mais nous aurions grillé tous les sympathisants de la libération animale. Ce qu’ont fait et ce que font ceux pour qui Facebook est le moyen absolu de communiquer pour agir.

Il faut bien ici comprendre que de par l’amplitude des tâches dévolues à la cellule Demeter, il y aura désormais l’enregistrement officiel de tous les messages postés sur les réseaux sociaux concernant la question animale au sens le plus large.

Avant, cela était bien entendu fait également, mais là ce sera fait légalement, avec tous les moyens publics officiels. Avec le terme « anticiper » et ceux de « mieux connaître », tout est permis, tout le monde va être surveillé de près, autant bien entendu que c’est techniquement possible.

Concrètement, si tel ou tel message donne prétexte à suspicion, il pourra y avoir écoute téléphonique, accès aux mails, filatures, à quoi s’ajoutent des tentatives d’infiltration, etc.

Voici d’ailleurs la présentation en mode blabla incompréhensible expliquant que les informations seront partagées à tous les niveaux étatiques :

La « Cellule nationale de suivi des atteintes au monde agricole » (cellule DEMETER) est destinée à apporter une réponse globale et coordonnée à l’ensemble des problématiques qui touchent le monde agricole en menant  collégialement les actions dans les 4 domaines :

– de la prévention et de l’accompagnement des professionnels du milieu agricole par des actions de sensibilisation et de conseils destinées à prévenir la commission d’actes délictueux, en lien avec les organismes de représentation du monde agricole (SDSPSR) ;

– de la recherche et de l’analyse du renseignement en vue de réaliser une cartographie évolutive de la menace et détecter l’émergence de nouveaux phénomènes et/ou groupuscules (SDAO en coordination avec SDPJ) ;

– du traitement judiciaire des atteintes visant le monde agricole par une exploitation centralisée du renseignement judiciaire, un partage ciblé de l’information et une coordination des investigations le nécessitant (SDPJ) ;

– de  la  communication,  en valorisant  opportunément  toutes  les  actions  menées  dans  ces  différents domaines par la gendarmerie au nom de la cellule DEMETER et par des actions ciblées destinées à rassurer le monde agricole par la prise en compte de ses problématiques par les forces de l’ordre (SIRPA).

Il est ici parlé par exemple de la SDAO. La SDAO, c’est la sous-direction de l’anticipation opérationnelle, c’est-à-dire les « services secrets » de la gendarmerie. La SDAO travaille évidemment de manière étroite avec le « Service Central du Renseignement Territorial », au sein de la « Direction Centrale de la Sécurité Publique » de la « Direction Générale de la Police Nationale ».

Pour dire les choses plus directement, il s’agit ici de structures dévolues à l’antiterrorisme notamment et disposant de moyens illimités. Si par exemple quelqu’un fait une action illégale, prend une photo et l’envoie, cette photographie sera décortiquée afin de voir son « empreinte » graphique et il sera recherché en ligne d’autres photos avec la même empreinte, ou bien un infiltré fera en sorte de se faire envoyer des photographies par une personne suspectée, histoire de vérifier.

Naturellement, les vols seront une thématique de la cellule Déméter… et même dans les faits sa principale activité. Mais la lutte contre la cause animale est ouvertement mise sur le même plan, ce qui est présenté comme suit :

« Le périmètre de compétence de la Cellule DEMETER englobe la prévention et le suivi :

– des actes crapuleux, qu’il s’agisse d’une délinquance de proximité et d’opportunité (ex : vol isolé de gasoil ou d’outillage,etc.) ou d’une criminalité organisée voire internationale (ex : filière de vol de GPS agricole, etc.) ;

– des actions de nature idéologique, qu’il s’agisse de simples actions symboliques de dénigrement du milieu agricole ou d’actions dures ayant des répercussions matérielles ou physiques. »

Il y a d’ailleurs une petite liste d’exemples d’actions et cela de la destruction de miradors aux free parties. On notera par contre, chose terrible, que la libération d’animaux est placée comme « action symbolique ». Les antispécistes sont ici les responsables de cela, en défigurant la lutte historique avec leur manie sans perspective du « témoignage ».

– les violations de domiciles ou intrusions visant des exploitations agricoles ou des professionnels de l’agro-alimentaire  aux  fins  d’y  mener  des  actions  symboliques  (libération d’animaux, tournage de vidéos clandestines,etc.) ;

– les  occupations  illégales  de  terrains  agricoles  aux  fins  d’installation  temporaire  par  des  groupes constitués de gens du voyage ou d’organisation d’événements festifs non autorisés (free-parties) ;

– les dégradations commises à l’encontre de certains professionnels liés aux milieu agricole ou agro-alimentaire (boucheries, abattoirs, activités de transport d’animaux d’élevage, etc.) ;

– les actions anti-fourrure liées à des élevages spécifiques ;

– les actions menées par certains groupes antispécistes vis-à-vis du monde de la chasse, intimement lié au monde agricole (impact de la régulation cynégétique sur la protection des cultures, identité rurale, etc.) peuvent être intégrées à la cellule DEMETER en fonction des circonstances.

Ce qui est d’autant plus grave, dans toute cette histoire, c’est que la gendarmerie nationale assume ouvertement d’avoir fait une convention de partenariat avec la FNSEA/JA. L’État assume de faire un partenariat avec un syndicat professionnel, tout en se prétendant neutre… voilà qui en dit long. Et c’est un argument qui sera à utiliser en cas d’accusation. L’État a choisi son camp et ne peut pas prétendre le contraire, comme le montre cette « convention ».

La présentation de la cellule Déméter contient également un exemple d’une telle opération « approfondie ».

A cela s’ajoute que la structure est étatique mais para-légale :

La Cellule DEMETER est une structure :

– fonctionnelle, n’imposant pas de mise à disposition co-localisée des personnels des entités impliquées  ;

– permanente afin d’assurer néanmoins un suivi constant de la problématique.

Elle est un réseau de référents (titulaire/suppléant) spécifiquement chargés, au sein de leurs sous-directions ou services, de la centralisation et de l’analyse des informations.

Ce n’est donc pas un service spécifique, qu’on pourrait évaluer. C’est une structure para-légale : elle est mise en place, mais au sein du reste, de manière non officielle, invisible. Cette structure est pourtant « permanente » et cependant, en même temps… elle n’existe pas. On ne peut donc pas lui rendre des comptes, en parler comme institution, car ce serait simplement quelque chose de transversal, etc.

C’est le degré zéro de la démocratie, ce qui n’est guère étonnant, puisque la gendarmerie, c’est une organisation de type militaire. Cela veut dire qu’une surveillance non seulement accrue, mais professionnelle et aux moyens militaires, attend désormais les végans. Et que personne ne pourra légalement avoir un regard déçu. Seule la gendarmerie et le sommet de l’État le pourra.

Cela ne dérangera nullement ceux pour qui être vegan c’est rester dans son coin à broyer du noir en se disant qu’on ne peut rien faire ou bien à signer des pétitions de L214 en s’imaginant faire quelque chose.

En apparence du moins, car dans les faits, la pression va commencer à devenir réellement intense.

Cela va être le début du reflux.

La tension qui va s’imposer va littéralement aplanir le mouvement pour les animaux. Car on ne contourne pas l’Histoire comme cela. Le véganisme date des années 1980-1990, voilà la vérité. Nier cela et s’imaginer que le véganisme était « nouveau », que la victoire allait être à court terme et facile, par les pétitions et la désobéissance civile, tout cela était prétentieux, vain, trompeur, mensonger.

C’est maintenant que la bataille va commencer. Et il n’y aura pas de compromis dans la défense de notre mère la Terre !