La seule voie menant au véganisme est le rejet de son ego et le fait d’assumer sa culpabilité individuelle dans son parcours jusque-là. Il faut une vie pour rattraper ce qu’on a fait – si c’est possible.
Le véganisme implique une soumission générationnelle, une acceptation de s’effacer, pour laisser place à une humanité nouvelle, avec un rapport totalement différent à la Nature. C’est une voie qui est celle de l’auto-critique et non de la complaisance, c’est une voie qui implique la correction ininterrompue de sa propre vie et non pas son auto-valorisation permanente.
Soit le véganisme des années 2020 est une véritable philosophie de vie, avec des valeurs bien déterminées dans les attitudes, les comportements, un effacement des egos, une correction de ses pensées.
Soit il ne sera qu’une posture individuelle, c’est-à-dire une imposture.
L’histoire du véganisme en France le montre parfaitement. Si on la regarde, on en arrive à constater quatre générations. La première génération date du début des années 1990, la seconde du début des années 2000, la troisième du début des années 2010, la quatrième s’est imposée dans la seconde partie des années 2010.
On a, au fur et à mesure :
– une génération alternative, en partie liée aux squats, à la culture punk hardcore, marginalisée par la société et ainsi sectaire, mais assumant le véganisme comme une morale complète ;
– un passage de flambeau partiel à une génération plus socialisée cherchant à développer le mouvement de manière plus constructive en cherchant à formuler des fondamentaux ;
– une vague de gens rejoignant la cause mais sans la vision du monde éthique et philosophique, car focalisée sur une sorte de protestation témoignage en mode noir c’est noir ;
– une récupération hipster et bobo et une intégration commerciale, parallèlement à un mouvement anarcho-symbolique (l’antispécisme).
Si l’on regarde les choses objectivement, on se dit alors que le véganisme a connu la même évolution que ce qu’on appelle en anglais les « subcultures », comme la musique disco, les hippies, les punks, les mods, les batcaves, etc.
Le déclic amenant au mauvais tournant est toujours le même : la première génération est dans le repli pour se préserver et a un rejet profond de la société. La seconde génération est portée par le message du premier et propose d’élargir le mouvement en construisant une vraie vision du monde capable de passer du refus de la société à sa conquête, sans rien dénaturer aux principes.
Le processus est encore en cours lorsque l’irruption de gens incapables de s’en tenir à des principes vient tout saccager. S’ensuit une récupération commerciale massive, avec une petite minorité s’imaginant encore dans le coup, alors qu’elle n’est qu’une pâle copie du mouvement, le simple témoignage historique de sa désintégration.
C’est là où on en est aujourd’hui. C’est donc de là qu’il faut partir.
Faut-il donc faire comme L214 et considérer que la cause ne peut triompher que sur des centaines d’années ? C’est absurde et moralement insoutenable.
Faut-il considérer qu’il existerait un « spécisme » flottant au-dessus de la société et manipulant les esprits ? C’est ridicule.
Faut-il vendre le véganisme à une pseudo critique du capitalisme qui montre sa fausseté en affirmant que tout changera… après la révolution seulement ? C’est mensonger. Croit-on vraiment que l’esprit gilets jaunes pourrait avoir un quelconque lien avec le véganisme ? Que la manière avec laquelle les syndicats gèrent la grève contre la réforme des retraites aboutirait à une progression du véganisme ?
Le véganisme exige la remise en cause de soi-même – cela implique une rupture avec la superficialité, un certain confort peut-être, des habitudes en tout cas. Avec des mœurs, avec des normes, avec des raisonnements. Et c’est un travail qui ne s’arrête jamais. C’est une révolution dans la vie quotidienne, avec des étapes, mais ne cessant pas.
C’est ce qui compte, car étant le plus important, c’est le concret, et l’irruption dans le concret provient toujours d’une détermination s’appuyant sur une correction devenue claire. C’est faire œuvre de purification morale dans un monde corrompu.
Pas de viande, pas de lait, pas d’œufs, pas d’alcool, pas de drogues, pas de rapports sexuels en-dehors d’un couple construit, pas de mensonges, pas de jeux d’argent, pas de fuite dans un au-delà imaginaire, pas de consumérisme, pas d’ego, pas d’égoïsme, pas de mise en avant de soi-même, pas de dépendance à la télévision ou aux séries, pas d’oubli des animaux.
Se constituer en opposition.