Cette fable puise son inspiration dans un apologue d’Esope, qui décrit les pensées d’un loup.
Celui-ci voit des humains, des bergers, en train de manger un mouton, et se demande quel scandale les humains feraient si lui faisait cela!
Ici La Fontaine montre un loup qui se remet en question dans sa démarche de prédateur, mais abandonne finalement son idée en voyant les êtres humains massacrer les êtres vivants sans commune mesure.
Un Loup rempli d’humanité
(S’il en est de tels dans le monde)
Fit un jour sur sa cruauté,
Quoiqu’il ne l’exerçât que par nécessité,
Une réflexion profonde.
Je suis haï, dit-il, et de qui ? De chacun.
Le Loup est l’ennemi commun :
Chiens, chasseurs, villageois, s’assemblent pour sa perte.
Jupiter est là-haut étourdi de leurs cris ;
C’est par là que de loups l’Angleterre est déserte : (1)
On y mit notre tête à prix.
Il n’est hobereau (2) qui ne fasse
Contre nous tels bans (3) publier ;
Il n’est marmot osant crier
Que du Loup aussitôt sa mère ne menace.
Le tout pour un Âne rogneux, (4)
Pour un Mouton pourri (5), pour quelque Chien hargneux,
Dont j’aurai passé mon envie.
Et bien, ne mangeons plus de chose ayant eu vie ;
Paissons l’herbe, broutons ; mourons de faim plutôt.
Est-ce une chose si cruelle ?
Vaut-il mieux s’attirer la haine universelle ?
Disant ces mots il vit des Bergers pour leur rôt
Mangeants un agneau cuit en broche.
Oh, oh, dit-il, je me reproche
Le sang de cette gent. Voilà ses Gardiens
S’en repaissants eux et leurs Chiens ;
Et moi, Loup, j’en ferai scrupule ?
Non, par tous les Dieux. Non. Je serais ridicule.
Thibaut l’Agnelet passera (6)
Sans qu’à la broche je le mette ;
Et non seulement lui, mais la mère qu’il tette,
Et le père qui l’engendra.
Ce Loup avait raison. Est-il dit qu’on nous voie
Faire festin de toute proie,
Manger les animaux, et nous les réduirons
Aux mets de l’âge d’or autant que nous pourrons ?
Ils n’auront ni croc (7) ni marmite ?
Bergers, bergers, le loup n’a tort
Que quand il n’est pas le plus fort :
Voulez-vous qu’il vive en ermite (8) ?(1) Les loups d’Angleterre avaient été massacrés au Xe siècle, les princes gallois ayant exigé trois cents têtes de loup pour tribut, au lieu d’argent
(2) Petit gentilhomme campagnard
(3) Publications de bannissement
(4) Galeux
(5) « atteint du pourri », maladie spécifique des moutons.
(6) Il y passera, je le dévorerai
(7) Crochets à suspendre la « viande »
(8) Un ermite ne mange bien entendu pas de « viande »