L’exploitation animale est une réalité industrielle qui est cachée tout autant en pratique (les abattoirs sont invisibles, les visiter est quasi impossible) qu’en théorie: à l’école on apprend que l’économie « moderne » s’est fondée sur le fordisme.
Sauf que Henry Ford, dans son autobiographie, explique que sa conception de la chaîne de production lui est venue à l’esprit après avoir visité un abattoir.
Voici ici un passage du livre Un éternel Treblinka, de Charles Patterson, qui aborde cette question importante.
Car il est parfois possible d’entendre l’argument comme quoi les ouvriers veulent de la viande. Cet argument oublie un aspect: le fait que pour avoir cette viande, les ouvriers doivent nécessairement être aliénés dans une production monstrueuse, où il faut tuer un animal rapidement, l’intervalle entre deux meurtres étant de quelques secondes.
C’est toute une chaîne: les ouvriers sont exploités et aliénés, leur activité dans ce genre d’usine s’appuie sur l’exploitation animale, et finalement les ouvriers ont une consommation décidée par ce genre de production.
En fait, les ouvriers qui « veulent de la viande » sont totalement imbriqués dans un système les exploitant et les aliénant, tout comme il exploite et aliène les animaux et la nature.
Pour comprendre cela, il faut saisir que l’aspect principal n’est pas la consommation, mais la production.
Nous avons besoin d’une nouvelle humanité, qui doit s’appuyer sur une nouvelle production, qui ne nous aliène pas, qui ne nous exploite pas, et qui ne nous sépare pas de la nature.
La plupart des gens ne sont pas conscients du rôle central de l’abattoir dans l’histoire de l’industrie américaine.
« Si la plupart des historiens de l’économie ont été tentés de voir dans les industries de l’acier et de l’automobile les premières manifestations du génie de l’Amérique industrielle, écrit Rifkin [dans Beyond Beeef: The Rise and Fall of the Cattle Culture], c’est dans les abattoirs que nombre des innovations les plus éminentes du modèle industriel furent utilisées pour la première fois (…).
Rien d’étonnant à ce que les historiens aient préféré chanter les vertus de la chaîne d’assemblage et de la production de masse de l’industrie de l’automobile. »
L’abrutissement de l’ouvrier à la chaîne, tout gênant qu’il fut pour les bonnes âmes, était très loin de l’horreur de la « salle d’abattage. »
Rifkin raconte que, dans les nouveaux abattoirs mécanisés de Chicago, « la puanteur de la mort, le cliquetis des chaînes au-dessus des têtes, le vrombissement des machines qui font défiler des créatures démembrées en une interminable procession dépassent l’imagination et tempèrent l’enthousiasme des plus ardents défenseurs des nouveaux modes de production. »
Dans son étude sur les ouvriers des abattoirs de Chicago au début du XXème siècle, James Barett écrit: « Les historiens ont dépouillé les bouchers du titre de pionniers de la production de masse qui leur revenait de droit, car ce n’est pas Henry Ford, mais Gustavus Swift et Philip Armour qui ont créé la technique de la chaîne d’assemblage, qui continue à symboliser l’organisation rationalisée du travail. » [Work and Community in the Jungle: Chicago’s Packinghouse Workers, 1894-1922].