« No Spiritual Surrender »

Nous sommes en 1990 et le groupe Inside Out, qui existe depuis deux ans, sort un mini-album, tiré à 5000 exemplaires, à l’époque en vinyl (4000 en noir comme c’est l’usage, 1000 en bleu). Ce sera la seule réalisation du groupe.

« No spiritual surrender » contient quatre titres et le chanteur a vingt ans : c’est Zack de La Rocha. Deux ans plus tard sortira le premier album de Rage against the machine, son nouveau groupe, dont le nom vient d’une chanson d’Inside out.

Le guitariste, Vic DiCara, âgé de vingt ans lui aussi, a en fait quitté le groupe, pour devenir moine vaishnavite de la mouvance surnommée « Hare Krishna ». Il rejoint le groupe Shelter pour son album Quest of certainty en 1992, pour former ensuite le groupe 108, qui produit immédiatement deux albums célébrant Krishna, Holyname et Songs of separation, en 1994 et 1995.

Le bassiste d’Inside out vient quant à lui de Gorilla Biscuits, le batteur de Chain of Strength, deux groupes connus de hardcore, de philosophie straight edge.

Le mini-album s’intitule « No spirituel surrender » et c’est le titre de la chanson la plus réussie, en qui on a tout l’esprit tant de Rage against the machine que de 108. Il y a cette idée de refuser ce qu’on qualifiera ici Babylone, par facilité et pour l’image d’une société où tout est corrompue, viciée, mais également corrupteur et vicieux.

Voici la chanson, ainsi qu’une version live interprétée par 108, avec des images soulignant le choix des membres de ce groupe de puiser en Krishna l’inspiration pour s’opposer à cette société.

En voici les paroles, l’ensemble étant repris une seconde fois.

Try to make me bow down to you
Try to take my identity
Try to make me just another pebble on the beach

Essaie de me faire plier devant toi
Essaie de prendre mon identité
Essaie de faire de moi juste un autre galet sur la plage

A green mind twists the plan
A cold hand trying to silence me
You try to grasp me, but I’m out of reach

Un esprit immature dresse de manière tordue ce plan
Une main froide en train d’essayer de me rendre silencieux
Tu essaies de m’attraper, mais je suis hors d’atteinte

No Spiritual Surrender
No Spiritual Surrender

Pas de reddition spirituelle
Pas de reddition spirituelle

Cette chanson est une grande source d’inspiration, qu’on apprécie ou pas, de par l’énergie et la perspective tracée. C’est une piqûre de rappel pour toujours avoir à l’esprit qu’aucune paix spirituelle – ou mentale, intellectuelle, sensible, comme on voudra – n’est possible avec la société telle qu’elle existe.

On ne peut pas ne pas chercher à s’opposer. Et cela exige une profonde attention pour rester hors d’atteinte. C’est là tout le noyau de la philosophie vegan straight edge, qui est un désengagement pour vivre, au quotidien, sur la base de valeurs inversement fondamentalement positifs. À la destruction systématique qu’implique la société telle qu’elle existe, l’opposition répond par le refus et l’affirmation de valeurs positives : la célébration de la vie telle qu’elle est en elle-même.

Voici le mini-album en entier.

108 : « Killer of the soul »

Voici les paroles de 108, un groupe américain des années 1990 qui a été un des éléments centraux du Krishnacore, ce mouvement combinant hardcore et hindouisme pour tenter de formuler une critique générale du mode de vie dominant.

Cette chanson de 1996 dénonce le fait de tuer des animaux, utilisant toute une poésie religieuse hindouiste pour renforcer le caractère sacrilège sur le plan moral.

1996

Killer of the soul…
satanic ritual set the corpse upon the table,
cosmetic religion, hide your horns, if you are able.
Tueur de l’esprit…
Un rituel satanique poser un cadavre sur la table,
Une religion cosmétique, cache tes cornes, si tu le peux.

Killer of the animal,
only a demon could dine on the flesh of the dead,
each hair on the back of each cow
is birth you’ll spend in hell.
Tueur de l’animal,
seulement un démon peut dîner de la chair d’un mort,
chaque poil du dos de chaque vache
est une naissance que tu passeras en enfer.

The killer of the soul, whomever he may be,
will be forced in the darkest regions,
embrace your decisions,
in the darkest regions of hell.
Le tueur de l’esprit, quel qu’il soit,
sera amené dans les régions les plus noires,
assume tes décisions,
dans les sombres régions de l’enfer.

Self killing ritual,
set the bottle upon the table,
cosmetic ignorance, kill the pain.
Un rituel consistant à se tuer soi-même,
la bouteille est mise sur la table,
une ignorance cosmétique, tuer la souffrance.

Killer of the animal within,
liquid poison to wash your brain,
drown in your misery,
your life becomes a hell.
Tueur de l’animal à l’intérieur,
un poison liquide pour se laver le cerveau,
noyé dans ta misère,
ta vie devient un enfer.

the killer of the soul, whomever he maybe,
will be forced in the darkest regions,
embrace your decisions,
in the darkest regions of hell.
Le tueur de l’esprit, quel qu’il soit,
sera amené dans les régions les plus noires,
assume tes des décisions,
dans les sombres régions de l’enfer.

I won’t kill my soul
Je ne tuerai pas mon esprit

Pour l’anecdote, le groupe s’est reformé il y a quelques temps pour quelques concerts, et sur l’une des affiches on voit comment la déesse de la mort Kali tient la tête de Donald Trump !

Interview de Vic DiCara, du groupe 108

Suite à notre article sur le Krishnacore, voici une interview de Vic DiCara, membre du groupe 108.

« Je n’ai pas d’émotion, je n’ai pas de dévotion, c’est un mouvement vide, des océans de notion dans le but de la promotion de l’égo » : ce sont des paroles de la chanson « Holyname » (nom sacré) ; dans un enregistrement live, vous expliquez aussi que Prabhupada (fondateur de l’association internationale pour la conscience de Krishna) est un vrai révolutionnaire parce qu’il a aidé les gens à dépasser leur ego. Pouvez-vous nous dire comment vous comprenez cela ?

La communication s’appuie sur les mots, et les mots sont une partie du langage. Comme nous sommes originaires de deux langues différentes, il peut y avoir des difficultés à se comprendre mutuellement les uns les autres. Essayons de notre mieux.

Il semble que ce que vous demandez, c’est que les paroles mentionnent le terme « ego. » Et sur un enregistrement live, nous avons parlé d’aller au-delà de « l’ego. » Donc, vous voudriez que j’explique davantage sur comment nous comprenons l’ensemble du sujet de « l’ego. » J’espère que c’est proche de ce vous vouliez vraiment demander?

L’ego est le sens de soi. Il est toujours un sentiment de soi, ou bien autrement dit il n’y a même personne pour concevoir son absence. Il n’y a pas de possibilité de ne pas avoir l’ego. Le problème, c’est qu’il y a un ego sain et un ego malsain.

Un ego malsain est celui qui se considère lui-même comme la plus importante personne dans le monde, et voit toutes les autres personnes selon comment elles se rapportent à cela. Un ego sain est celui qui se considère soi-même comme également important que les autres et voit tout le monde, et toutes les autres personnes selon comment elles se rapportent à l’identité universelle centrale, la « divinité. »

Dis-nous comment cela a amené à l’existence de 108.

108 est venu à exister parce que plusieurs musiciens ont été plusieurs à pratiquer la bhakti (le yoga de l’amour divin). Un musicien doit toujours exprimer ce qui est profondément important pour lui ou pour elle. Donc, naturellement, comme la bhakti est devenue plus importante pour ces musiciens en particulier, c’est de plus en plus devenu une expression dans leur musique. Finalement, ils ont été réunis pour former un groupe dont le principal objectif était de mettre l’accent sur l’expression de la bhakti: 108.

Et qu’est-ce que le « krishnacore » pour toi ?

Pour moi, le « Krishnacore » est une expression intéressante que quelqu’un quelque part a inventé de telle manière à se référer à des groupes de hardcore qui avaient une certaine connexion importante à l’expression de la Krishna bhakti, comme 108.

Les groupes liés au « krishnacore » ont souvent un son particulier, vraiment dissonant, telle une expression de la vie dissonante dans les sociétés. C’est très personnel, cela pourrait être quelque chose comme un expressionnisme moderne, ne trouves-tu pas ?

Je pense que c’est une description très artistique.

Il y a un spectre infini d’émotions et de sujets, etc pouvant être exprimés dans le cadre de la bhakti.

Le hardcore, d’autre part, n’est pas très bien adapté à la cueillette des fleurs, en sautant dans les prés, et en regardant l’arc-en-ciel, pas vrai? Il s’agit d’une éraflure sonique très intense, sombre et profonde, non?

Bien sûr, il y a des versions plus pop du hardcore, mais cela n’était pas ce qui m’intéressait en tant que musicien jouant du hardcore. Alors, naturellement, si je combine la bhakti avec le hardcore, cela va se concentrer sur les aspects de la bhakti qui ont quelque chose en commun avec l’ambiance et l’humeur et l’énergie de la musique hardcore – ce qui est véritablement très profond, douloureux, solitaire, avec le blues la plupart du temps, ou bien dégoûté et antagoniste envers ce qui est l’antithèse de la bhakti. Je pense que c’est pourquoi la musique de 108 a produit le son qu’est le sien.

Concernant les autres groupes « Krishnacore » et leurs sons, je ne sais même pas comment ils sonnent. Je sais que Shelter sonne très pop, relativement parlant, alors je ne pense pas que nous ayons à dire que chaque groupe « Krishnacore » a un son dissonant. Probablement seulement 108 et les groupes qui sont inspiré par 108 sur le plan sonore.

Quelles sont les influences musicales de 108 ?

Pour ma part, les influences musicales que j’ai apporté à 108 proviennent principalement de Led Zeppelin, les Doors, Metallica, Slayer et les Bad Brains. D’autres personnes dans le groupe ont amené d’autres influences dans le mix.

La question doit être posée : pourquoi ne crois-tu pas, par exemple comme Jean-Jacques Rousseau, que les problèmes viennent du fait que la société corrompt les gens? Pourquoi choisir « l’esprit » et pas la « Nature »?

Qu’est-ce que la « corruption »? C’est la pollution, et la distorsion de la pureté originelle. S’il n’y a pas de pureté originelle, alors il n’y a rien à corrompre.
Oui, la société moderne tend à corrompre les gens. Je suis d’accord avec cela. Mais ce en quoi je suis vraiment intéressé est de savoir comment « dé-corrompre », comment me transformer à partir d’un état corrompu à un état de pureté et de bonté inhérentes.

Cela exige une connaissance intime de ce que mon « état naturel » est réellement. Le terme « esprit » n’est qu’un mot pour l’état inhérent. La « nature » est un autre mot avec la même signification. La différence entre les deux mots est que les gens font la corrélation du mot « esprit » avec divers groupes religieux comme le christianisme et ainsi de suite, alors qu’ils ne font pas les mêmes connotations pour le mot «nature». Les deux mots me vont.

La bhakti est la partie essentielle du « yoga » de l’Inde. Les « yogas » sont des méthodes pour réintégrer la nature originelle de qui et de ce que vous êtes.

Ainsi, que penses-tu du Straight Edge et du véganisme ?

Je ne pense pas avoir aucun droit à juger quoi que ce soit au sujet du Straight Edge ou du véganisme. Je ne suis pas un juge universel. Je pense que le Straight Edge et le véganisme sont quelques unes des bonnes causes dans le monde aujourd’hui et que les personnes qui y sont dédiées sont en général assez bonnes.

Es-tu ou as-tu été Straight Edge, vegan ?

Vers 1988, j’ai décidé d’adopter un régime végétarien et de ne pas boire l’alcool. Cela a été le résultat de Youth of Today, et leur influence sur mes amis, en particulier Tom Capone.

108 a une signification importante dans l’hindouisme, et toi-même tu as étudié l’astrologie védique. Tu ne crois pas que le mouvement des planètes influence les gens, mais que « notre mère compatissante, l’univers, veut communiquer à ses enfants et nous guider à travers les mouvements de son corps, les étoiles et les planètes ». Peux-tu nous en parler?

Fondamentalement, l’astrologie est de savoir comment les êtres humains disent le temps. Une journée est un certain mouvement du Soleil à travers un lever du soleil et un coucher du soleil. Un mois, c’est une certaine période de temps déterminée par la longueur nécessaire à la lune pour devenir pleine. Une année est une année parce qu’il apparaît que pendant ce temps le Soleil se déplace à travers les étoiles et revient au même point de nouveau. Etc etc. Ainsi, en connaissant profondément l’astrologie vous gagnez une fenêtre sur le passé, le présent et le futur.

L’Inde a une forme très ancienne de l’astrologie, mais elle n’est plus pratiquée. Elle est maintenant dominée par une forme qu’ils ont importé des Perses et des Grecs et adaptée à leur propre science. Elle est, néanmoins, tout à fait étonnante et utile.

Chacun a la liberté, mais avec la liberté vient la responsabilité. Ainsi, lorsque nous faisons quelque chose, nous générons une réaction par cela. Ainsi, la liberté utilisée dans le présent génère l’avenir qui ne peut pas être évité.

L’univers doit juger le destin de tout le monde, et il fait donc passer mon temps causé (de sorte qu’une infinité de situations différentes peut se produire). Si vous pouvez lire l’heure de manière très experte, vous pouvez comprendre quels destins sont à venir. C’est l’idée fondamentale de l’astrologie comme je la comprends en ce moment.

Comment vois-tu le futur de ce monde ?

« Si le sida ne t’a pas, ce seront les ogives » – Cro Mags

Ha ha.

Je vois le monde de deux façons – en interne et en externe. J’ai une vision optimiste de l’avenir subjective / interne du monde et des gens en lui. Mais une vision pessimiste de l’avenir objectif / externe.

Je pense que les machines sont horribles. La révolution industrielle a été le premier pas de la chute dans les escaliers dans une fosse de chaos et la misère.

Je vois le monde devenir de plus en plus pollué et pavé, et mécanique – et les gens porter des
écouteurs, des lunettes de soleil sombres avec des écrans vidéo à l’intérieur, et un jour ne sortant même plus vraiment de leurs foyers ou interagir avec quelqu’un d’autre dans la chair.

Chaque chose que nous obtenons au nom du « progrès » et de « l’amélioration » est tout simplement la vie plus solitaire et compliquée – et c’est ce que je considère comme l’avenir incontournable pour l’humanité dans cette époque sombre de l’histoire, le Kali-Yuga – l’âge de la querelle.

J’ai une vision optimiste, cependant, que des individus au sein de cet avenir sombre quant au reste peuvent faire des tâches lumineuses pour eux et pour d’autres comme un résultat de se tourner sincèrement vers l’intérieur en direction du vrai soi vivant, loin de la non-réalité externe, électrifiée, mise en publicité, et télévisée.