L’Afrique et le véganisme: une question d’avenir

A LTD, nous comprenons le véganisme comme une question mondiale, à l’heure où l’humanité généralise un mode de vie destructeur.

Il y a donc tout lieu de s’intéresser au développement du véganisme dans les autres pays, et plus particulièrement aux pays qui ces vingt dernières années connaissent une industrialisation accélérée en raison de l’agro-business.

Cela est vrai en Amérique latine, d’où la vague en faveur de la libération animale et de la libération de la Terre. Mais cela est vrai aussi en Afrique. Voici une interview d’un afro-américain – on utilise le terme d’afrikan en anglais pour souligner la dimension politique et culturelle – qui se consacre justement à comprendre la situation du véganisme en Afrique.

Son blog s’appelle Afrikan Raw Talk, et l’interview, avec ses réponses à nos questions, peut être lue en anglais sur son site.

1.De quoi parle ton site?

« Afrikan Raw Vegan Talk »[Discussion vegan crudivore afrikaine] tente de montrer qu’il existe des vegans noirs, y compris et en particulier des vegans crudivores noirs, qu’ils deviennent visibles, et ont des expériences et des succès pertinents en tant que vegans dans le monde africain, tant sur le continent que dans la diaspora.

Le site cherche aussi à rendre concret et à documenter le fait qu’être africain et vegan est une composante critique et progressiste de notre lutte pour la libération et du désir d’humaniser notre existence tout en chérissant notre planète unique et délicate.

2.Comment en es-tu arrivé à faire ce site?

Je suis vegan depuis onze années désormais, et quand j’ai commencé à faire ce site au début de 2008, je voulais voir davantage de présence vegan noire, davantage de commentaires vegans noirs sur Internet, et plus particulièrement à partir de la perspective de vegans de couleurs expérimentés sur le long terme, sûr d’eux-mêmes et déterminés.

Pas seulement des journaux intimes sous forme de blog de vegans de 30 jours à l’essai, en train d’essayer de perdre du poids, même si cela peut être important aussi.

Ce blog représente une perspective anti-impérialiste, anti-capitaliste, anti-suprématie blanche, humaniste, activiste, radicalement pour l’environnement, pan-africaine, afro-centée et tiers-mondiste, qui est hardcore, straight edge et présent dans la scène depuis longtemps.

C’est un véganisme tiers-mondiste qui est très engagé dans la société selon la perspective comme quoi la révolution est nécessaire, et comme quoi le véganisme est une composante, libératrice et donnant de la force, de la transformation humaine nécessaire pour la survie et pour le progrès des espèces primates.


3.Comment vois-tu la culture qui s’est développée en Afrique noire comme étant liée au véganisme?

Je ne suis pas en pratique un archéologue ou un anthropologue spécialisé en ce domaine, mais beaucoup de preuves historiques et d’anecdotes présentent une partie des Kemet, également connus comme les anciens Egyptiens, comme végétariens.

En général, les diètes de l’époque pré-coloniale se fondaient sur les aliments complets, qu’il y ait ou non de la viande. Et les modes de vie pré-coloniaux de nombreuses zones de l’Afrique noire étaient considérées par les anthropologues occidentaux de l’époque (le milieu du 19ème siècle) comme parmi les meilleurs pour la santé de par le monde.

Maintenant, notre espérance de vie et notre qualité de vie sont les plus courtes et les plus misérables, largement en raison du néo-colonialisme, du néo-libéralisme et de la domination par des gouvernements criminels.

Nous sommes dépendants de l’aide, et le régime foncier en Afrique est dans un état de crise perpétuelle, alors que l’agro-business choisit en priorité le cacao, le café et les fleurs, au lieu de la nourriture.

Nous vendons même d’immenses hectares de terre à des pays étrangers, afin qu’ils produisent de la nourriture pour leurs propres populations !

Le pastoralisme animal est un autre problème, détruisant la végétation sur de vastes zones de terre, accélérant la désertification. Si sur toute cette terre poussaient des fruits et des légumes, beaucoup de nos problèmes de sécurité alimentaires et nutritionnels pourraient commencer à être résolus.

Et toutes ces tendances exacerbent grandement les inégalités de genre alors que les femmes luttent pour organiser des jardins pour la cuisine, afin de nourrir les familles, et tendent ainsi à en rester au travail crucial mais totalement impayé de reproduire la force de travail.

Alors que les hommes, eux, tendent à se focaliser sur les cultures servant le profit, et reçoivent pour aller en ce sens, de manière préférentielle, de l’outillage et des fonds des gouvernements, des multinationales et de certaines ONG.

Dans l’ensemble, la transition vers le véganisme en Afrique diminuera la malnutrition, augmentera les niveaux de production, élèvera le niveau d’auto-suffisance et, je pense, réduira les tendances au conflit et à l’agression inutile.

En termes de politique alimentaire, nous pouvons faire pousser tellement de nos propres fruits et légumes frais, de manière biologique et durable, si nous nous concentrons sur ce but aux niveaux continental et local.

En termes de revenus pour la société, je pense que le véganisme améliore la tolérance sociale, le bien-être physique, qu’il réduit le stress, fait que le cerveau fonctionne de manière plus efficace, améliore l’immunité et réduit les maladies, réduit les niveaux de cancer, etc.

Enfin, dans une société végane, les gens deviendront davantage coopératifs et conscients de l’intendance correcte de la terre, et de la responsabilité au niveau de la société, et de la cohésion.

Le véganisme en Afrique sera probablement encore bien plus révolutionnaire que cela.


4.En France, nous avons des gens d’origine africaine, et ils sont d’une manière ou d’une autre liés culturellement à l’Afrique.
Mais si les plus âgés ont souvent un point de vue très sage, un point de vue très critique, qui souligne que la justice prévaudra nécessairement même s’il faut du temps pour cela, les jeunes sont relativement éloignés du véganisme et d’un point de vue critique par rapport à ce qu’on peut appeler Babylone. Que penses-tu de cela?

J’ai foi en la jeunesse. J’ai 26 ans. Je suis encore considéré comme jeune. Je dirais presque que j’ai davantage foi dans la jeunesse que dans la vieille génération, qui sur beaucoup de points a échoué et nous a déçu, échouant à réaliser les promesses du panafricanisme ou les droits civiques.

Ce sont les jeunes qui deviennent végans, qui deviennent des penseurs critiques, qui remettent en question les anciennes conceptions, et disposent de manière correcte des traditions inutiles qui n’ont pas de valeurs ni de sens.

Je n’ai pas un respect inné pour la tradition, personnellement je dis qu’il faut choisir la raison plutôt que les conventions.

Babylone ce n’est pas que la société suprémaciste blanche et capitaliste, c’est aussi des traditions et des tendances anti-humaines, qui divisent, anti-intellectuelles, réactionnaires, autoritaires, homophobes, misogynes et stupides, en Afrique et dans le monde noir.

Beaucoup de jeunes noirs sont perdus, beaucoup de jeunes ont perdu l’espoir, en raison des échecs de la société qui les amènent à rechercher ce dont ils ont besoin sur le dos des autres. La haine de soi, l’ignorance et la pauvreté à la base des vies des jeunes amène à beaucoup de pauvres résultats, qui ne sont que trop visibles.

Moins visible est la jeunesse visionnaire, la jeunesse révolutionnaire, la jeunesse organisée qui construit l’art, qui construit des armées de sagesse et de changement.

Mais je pense que la jeunesse visionnaire tient les rênes du futur et se confrontera courageusement aux immenses défis du présent et du futur proche, qui sont surtout donnés à nous par nos parents et grand-parents souvent avides, obstinés et inconscients.

5.En France, lorsque nous pensons à la position afrikaine [afro-américaine] révolutionnaire en Amérique du Nord, nous pensons à Move ou Dead Prez. Néanmoins, nous avons une critique : il semble que la perspective d’une vie sans poison est l’aspect central, pas vraiment la nature, les animaux, la Terre. Que répondrais-tu à cela?

Pour les Africains, il y a peu de temps pour se focaliser sur la libération animale seulement. Cela n’a pas de sens, quand les humains sont dans une telle misère.

Quelqu’un comme moi ne pourrait jamais se placer dans la scène blanche pour la libération animale, parce qu’ils agissent comme si c’était le problème central de l’injustice dans le monde, ce qui est dans ma perspective à la fois absurde et ridicule.

Les gens opprimés commencent à partir de la perspective de leur propre oppression. Bien entendu, tout le reste est inclus lorsque nous considérons les épouvantables tendances humaines qui amènent à toutes sortes d’exploitation.

L’agression, l’avidité, l’ignorance, la violence, la domination… s’appliquent à créer des hiérarchies et l’exploitation parmi les humains et entre les humains et les animaux.

Mais quelqu’un comme moi et je pense Dead Prez ou l’organisation MOVE considère comme une urgence de se focaliser sur les problèmes humains, et ne peuvent pas, avec bonne conscience, se focaliser sur la libération animale seulement.

Seule une personne très privilégiée peut se permettre de se focaliser sur la libération animale seulement, et ainsi pour beaucoup de gens de la position africaine révolutionnaire en Amérique du Nord, ce genre de chose reste extérieur, et cela me semble juste.

Nous n’avons pas le luxe de pouvoir nous focaliser sur une seule question, en particulier une qui est tangente pour notre propre souffrance et notre propre oppression en tant qu’êtres vivants noirs. Tout doit être inclus – libération humaine, libération de la Terre, libération non-humaine.

6.Tu soulignes l’importance de la nourriture crue. Peux-tu nous en parler?

L’alimentation végane crue est pour moi ce qu’il faut pour la santé. Dans une large mesure, cela libère une personne d’avoir à faire face aux maladies, à l’inquiétude concernant sa santé. Je n’ai pas été ne serait-ce que légèrement malade en de nombreuses années.

Aux USA, en particulier parmi les gens africains, la maladie est pratiquement un thème central dans la vie, que ce soit l’obésité, le cancer, le diabète, la congestion cérébrale, les infarctus, l’impotence, le stress, etc.

Le véganisme crudivore, en particulier le véganisme crudivore faible en gras qui consiste surtout en des fruits frais et en des légumes verts, est pratiquable, aisé sur le plan matériel en termes financier, et créatif.

Et il exige de la discipline et de la cohérence, des tendances dont nous avons besoin en tant que personnes se considérant comme révolutionnaires.

Le véganisme crudivore est à la fois extrêmement bon pour la santé, et amène également les gens à devenir plus hardcore et plus sérieux quant à la vie et le travail. Le véganisme crudivore c’est une santé vigoureuse et une mentalité sans compromis.

7.L’Afrique est un continent en attente de la révolution. Penses-tu que le véganisme est la clef pour cela?

Oui. Le véganisme est partout potentiellement une composante importante de la révolution, et nous avons besoin de la révolution partout dans le monde.

Nous avons besoin d’esprits guerriers vegans qui ont une vue globale au sujet de comment les humains coexistent dans le monde avec les autres êtres vivants, tout en corrigeant les contradictions sociales dans la société humaine.

Une société plus humaine émergera avec le véganisme en arrière-plan, dans et après la révolution. Et également une société avec une santé meilleure, plus juste, et durable.