« Laisse-moi être transi, laisse-moi mourir à nouveau de froid ! »

L’hiver est là ! Mais qu’est-ce que l’hiver ? C’est le contraire de l’automne, et le contraire du printemps. C’est un grand engourdissement… Dont l’une des plus grandes représentation culturelle est le « cold song » de Klaus Nomi.

Le « cold song » (chanson froide en anglais) est en fait l’acte III scène 2 d’un opéra : King Arthur (Le Roi Arthur), sur un livret de John Dryden et une musique d’Henry Purcell. Cet opéra est rempli d’esprit pré-romantique à l’anglaise, avec des références aux dieux nordiques.

L’allemand Klaus Nomi (1944-1983) était un chanteur d’opéra, mais également un artiste new wave ; il a repris l’acte III scène 2, intitulé what power art thou (quelle puissance es-tu?) pour le chanter d’une manière particulière, sous le titre de « cold song », à sa façon de contre-ténor.

On peut écouter ici cette version (et là une version traditionnelle), qui a eu un énorme succès au début des années 1980 en Europe et aux USA, et qui est une très belle image poétique de l’hiver, quand on connaît le texte (dans l’opéra celui qui parle ici est le Génie du froid, réveillé par l’amour) et qu’on comprend comment la manière de chanter représente le froid, le tremblement.

What power art thou, who from below
Hast made me rise unwillingly and slow
From beds of everlasting snow ?
See’st thou not how stiff and wondrous old
Far unfit to bear the bitter cold,
I can scarcely move or draw my breath ?
Let me, let me freeze again to death !

Quelle puissance es-tu, toi qui, du tréfonds,
M’as fait lever à regret et lentement
Du lit des neiges éternelles ?
Ne vois-tu pas combien, raidi par les ans,
Trop engourdi pour supporter le froid mordant,
Je puis à peine bouger ou exhaler mon haleine ?
Laisse-moi être transi, laisse-moi mourir à nouveau de froid !

« Triomphe, immortelle nature ! » (Lamartine)

Si LTD change de bannière à chaque saison, c’est pour souligner que toute notre existence d’êtres humains est lié au mouvement de la nature. On ne vit pas tout à fait de la même manière à chaque saison, et ce n’est pas pour rien. On peut nier cette réalité tant qu’on voudra, les faits parlent d’eux-mêmes: les saisons jouent sur nous.

Voici à titre d’exemple un poème de Lamartine au sujet de l’automne, où l’on peut lire justement que « Le deuil de la nature / Convient à la douleur et plaît à mes regards ! »

L’automne

Salut ! bois couronnés d’un reste de verdure !
Feuillages jaunissants sur les gazons épars !
Salut, derniers beaux jours ! Le deuil de la nature
Convient à la douleur et plaît à mes regards !

Je suis d’un pas rêveur le sentier solitaire,
J’aime à revoir encor, pour la dernière fois,
Ce soleil pâlissant, dont la faible lumière
Perce à peine à mes pieds l’obscurité des bois !

Oui, dans ces jours d’automne où la nature expire,
A ses regards voilés, je trouve plus d’attraits,
C’est l’adieu d’un ami, c’est le dernier sourire
Des lèvres que la mort va fermer pour jamais !

Ainsi, prêt à quitter l’horizon de la vie,
Pleurant de mes longs jours l’espoir évanoui,
Je me retourne encore, et d’un regard d’envie
Je contemple ses biens dont je n’ai pas joui !

Terre, soleil, vallons, belle et douce nature,
Je vous dois une larme aux bords de mon tombeau ;
L’air est si parfumé ! la lumière est si pure !
Aux regards d’un mourant le soleil est si beau !

Je voudrais maintenant vider jusqu’à la lie
Ce calice mêlé de nectar et de fiel !
Au fond de cette coupe où je buvais la vie,
Peut-être restait-il une goutte de miel ?

Peut-être l’avenir me gardait-il encore
Un retour de bonheur dont l’espoir est perdu ?
Peut-être dans la foule, une âme que j’ignore
Aurait compris mon âme, et m’aurait répondu ? …

La fleur tombe en livrant ses parfums au zéphire ;
A la vie, au soleil, ce sont là ses adieux ;
Moi, je meurs; et mon âme, au moment qu’elle expire,
S’exhale comme un son triste et mélodieux.

Chanter la nature est une constante de l’humanité depuis le début de son existence; les premières religions ne sont qu’une vision mystique et hallucinée de la nature.

Mais avec la course à l’accumulation, la nature s’efface dans les coeurs et les esprits. En voici un exemple culturellement significatif, toujours avec un poème de Lamartine. L’expression « Ô temps ! suspends ton vol » est relativement connue, mais son origine est totalement inconnue.

Et pourtant, il y a un grand intérêt de connaître cette chanson d’amour autour d’un lac, l’amour et la nature se confondant…

Le lac

Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,
Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l’océan des âges
Jeter l’ancre un seul jour ?

Ô lac ! l’année à peine a fini sa carrière,
Et près des flots chéris qu’elle devait revoir,
Regarde ! je viens seul m’asseoir sur cette pierre
Où tu la vis s’asseoir !

Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes,
Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés,
Ainsi le vent jetait l’écume de tes ondes
Sur ses pieds adorés.

Un soir, t’en souvient-il ? nous voguions en silence ;
On n’entendait au loin, sur l’onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
Tes flots harmonieux.

Tout à coup des accents inconnus à la terre
Du rivage charmé frappèrent les échos ;
Le flot fut attentif, et la voix qui m’est chère
Laissa tomber ces mots :

” Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices !
Suspendez votre cours :
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours !

” Assez de malheureux ici-bas vous implorent,
Coulez, coulez pour eux ;
Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent ;
Oubliez les heureux.

” Mais je demande en vain quelques moments encore,
Le temps m’échappe et fuit ;
Je dis à cette nuit : Sois plus lente ; et l’aurore
Va dissiper la nuit.

” Aimons donc, aimons donc ! de l’heure fugitive,
Hâtons-nous, jouissons !
L’homme n’a point de port, le temps n’a point de rive ;
Il coule, et nous passons ! ”

Temps jaloux, se peut-il que ces moments d’ivresse,
Où l’amour à longs flots nous verse le bonheur,
S’envolent loin de nous de la même vitesse
Que les jours de malheur ?

Eh quoi ! n’en pourrons-nous fixer au moins la trace ?
Quoi ! passés pour jamais ! quoi ! tout entiers perdus !
Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface,
Ne nous les rendra plus !

Éternité, néant, passé, sombres abîmes,
Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?
Parlez : nous rendrez-vous ces extases sublimes
Que vous nous ravissez ?

Ô lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure !
Vous, que le temps épargne ou qu’il peut rajeunir,
Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,
Au moins le souvenir !

Qu’il soit dans ton repos, qu’il soit dans tes orages,
Beau lac, et dans l’aspect de tes riants coteaux,
Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages
Qui pendent sur tes eaux.

Qu’il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe,
Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés,
Dans l’astre au front d’argent qui blanchit ta surface
De ses molles clartés.

Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,
Que les parfums légers de ton air embaumé,
Que tout ce qu’on entend, l’on voit ou l’on respire,
Tout dise : Ils ont aimé !

Lamartine considérait que « On n’a pas deux cœurs, l’un pour l’homme, l’autre pour l’animal… On a du cœur ou on n’en a pas ». Sa vision des choses est ainsi très intéressante.

Son romantisme n’est pas qu’un désir de retourner au moyen-âge: tout comme chez Nerval, il y a la volonté de comprendre la nature. Rimbaud considérera d’ailleurs que Lamartine a été au moins en partie un précurseur du « poète voyant » qu’il appelait de ses voeux, même si la forme est très conservatrice et bloquée.

En voici un exemple très parlant avec le poème « Eternité de la nature, brièveté de l’homme » qui met les choses à sa place, de manière volontaire (« Triomphe, immortelle nature ! »):

Eternité de la nature, brièveté de l’homme

Roulez dans vos sentiers de flamme,
Astres, rois de l’immensité !
Insultez, écrasez mon âme
Par votre presque éternité !
Et vous, comètes vagabondes,
Du divin océan des mondes
Débordement prodigieux,
Sortez des limites tracées,
Et révélez d’autres pensées
De celui qui pensa les cieux !

Triomphe, immortelle nature !
A qui la main pleine de jours
Prête des forces sans mesure,
Des temps qui renaissent toujours !
La mort retrempe ta puissance,
Donne, ravis, rends l’existence
A tout ce qui la puise en toi ;
Insecte éclos de ton sourire,
Je nais, je regarde et j’expire,
Marche et ne pense plus à moi !

Vieil océan, dans tes rivages
Flotte comme un ciel écumant,
Plus orageux que les nuages,
Plus lumineux qu’un firmament !
Pendant que les empires naissent,
Grandissent, tombent, disparaissent
Avec leurs générations,
Dresse tes bouillonnantes crêtes,
Bats ta rive! et dis aux tempêtes :
Où sont les nids des nations ?

Toi qui n’es pas lasse d’éclore
Depuis la naissance des jours.
Lève-toi, rayonnante aurore,
Couche-toi, lève-toi toujours!
Réfléchissez ses feux sublimes,
Neiges éclatantes des cimes,
Où le jour descend comme un roi !
Brillez, brillez pour me confondre,
Vous qu’un rayon du jour peut fondre,
Vous subsisterez plus que moi !

Et toi qui t’abaisse et t’élève
Comme la poudre des chemins,
Comme les vagues sûr la grève,
Race innombrable des humains,
Survis au temps qui me consume,
Engloutis-moi dans ton écume,
Je sens moi-même mon néant,
Dans ton sein qu’est-ce qu’une vie ?
Ce qu’est une goutte de pluie
Dans les bassins de l’océan !

Vous mourez pour renaître encore,
Vous fourmillez dans vos sillons !
Un souffle du soir à l’aurore
Renouvelle vos tourbillons!
Une existence évanouie
Ne fait pas baisser d’une vie
Le flot de l’être toujours plein;
Il ne vous manque quand j’expire
Pas plus qu’à l’homme qui respire
Ne manque un souffle de son sein !

Vous allez balayer ma cendre ;
L’homme ou l’insecte en renaîtra !
Mon nom brûlant de se répandre
Dans le nom commun se perdra ;
Il fut! voilà tout! bientôt même
L’oubli couvre ce mot suprême,
Un siècle ou deux l’auront vaincu !
Mais vous ne pouvez, à nature !
Effacer une créature ;
Je meurs! qu’importe ? j’ai vécu !

Dieu m’a vu ! le regard de vie
S’est abaissé sur mon néant,
Votre existence rajeunie
A des siècles, j’eus mon instant !
Mais dans la minute qui passe
L’infini de temps et d’espace
Dans mon regard s’est répété !
Et j’ai vu dans ce point de l’être
La même image m’apparaître
Que vous dans votre immensité !

Distances incommensurables,
Abîmes des monts et des cieux,
Vos mystères inépuisables
Se sont révélés à mes yeux !
J’ai roulé dans mes voeux sublimes
Plus de vagues que tes abîmes
N’en roulent, à mer en courroux !
Et vous, soleils aux yeux de flamme,
Le regard brûlant de mon âme
S’est élevé plus haut que vous !

De l’être universel, unique,
La splendeur dans mon ombre a lui,
Et j’ai bourdonné mon cantique
De joie et d’amour devant lui !
Et sa rayonnante pensée
Dans la mienne s’est retracée,
Et sa parole m’a connu !
Et j’ai monté devant sa face,
Et la nature m’a dit : Passe :
Ton sort est sublime, il t’a vu!

Vivez donc vos jours sans mesure !
Terre et ciel! céleste flambeau !
Montagnes, mers, et toi, nature,
Souris longtemps sur mon tombeau !
Effacé du livre de vie,
Que le néant même m’oublie!
J’admire et ne suis point jaloux !
Ma pensée a vécu d’avance
Et meurt avec une espérance
Plus impérissable que vous !

C’est une évidence qu’il y a là quelque chose d’intéressant, et que refuser ce genre de démarche car elle serait naïve ne rime à rien. En 2010, il y a beau jeu de se moquer de la naïveté et de la candeur de personnes aiment la nature et les animaux. Mais la vérité est que cela est incontournable, que sans cela il n’y a pas de civilisation.

Comprendre l’importance des saisons dans sa vie personnelle peut ainsi être déjà un bon début pour refuser une vie totalement dénaturée, et qui n’est donc pas une vie. Après, au milieu du béton, quelle place y a-t-il pour les saisons?

Dans le flux des transports et du travail, dans les heures perdues à courir pour l’emploi ou à déprimer par rapport à cela, comment avoir une attention captée par les saisons?

Il y a une solution, une seule: comprendre notre planète comme étant un lieu de vie, de vie en mouvement; c’est le sens du terme « Gaïa » que nous employons.

La vie doit l’emporter! Finissons donc justement sur un dernier poème de Lamartine, dédié cette fois au printemps:

Le papillon

Naître avec le printemps, mourir avec les roses,
Sur l’aile du zéphyr nager dans un ciel pur,
Balancé sur le sein des fleurs à peine écloses,
S’enivrer de parfums, de lumière et d’azur,
Secouant, jeune encor, la poudre de ses ailes,
S’envoler comme un souffle aux voûtes éternelles,
Voilà du papillon le destin enchanté!
Il ressemble au désir, qui jamais ne se pose,
Et sans se satisfaire, effleurant toute chose,
Retourne enfin au ciel chercher la volupté!