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« Salariée d’une entreprise de découpe de volaille »
Avant-hier s’est terminé le congrès de l’un des principaux syndicats français, CGT-Force Ouvrière. Ni sur une ligne plus ou moins revendicative comme la CGT, ni « moderne » comme Solidaires, ni ouvertement réformiste comme la CFDT, CGT-Force Ouvrière est un syndicat avec une identité culturelle très conservatrice, tout en ayant des revendications sociales.
Quel rapport avec la libération animale, donc ? Jutement, en raison du positionnement de ce syndicat, à son congrès il y a eu un peu de remue-ménage au sujet des retraites. Un journaliste faisant un compte-rendu note notamment ceci, qui justement nous intéresse :
15h35 – Vibrant plaidoyer d’une déléguée issue de la fédération de l’alimentaire sur l’inscription explicite dans la résolution aux 37,5 années de cotisation.
Salariée d’une entreprise de découpe de volaille, où elle règle le sort de 14 poulets à la minute, elle ne se voit pas le faire pendant 42 années pour pouvoir partir en retraite.
« Je souhaiterai rentrer la semaine prochaine dans mon syndicat en pouvant dire que la ligne confédérale est celle d’un retour aux 37,5 ans », a-t-elle crié à la tribune, provoquant bon nombre d’applaudissements dans la salle. Ecartée ce matin lors de la résolution protection sociale, cette vieille revendication de FO refait surface lors de la générale. Suspens…
Nous avons là une situation très compliquée, et en même temps pas du tout. Mais il est évident que le véganisme ne gagnera pas du terrain en France s’il ne sait pas répondre à ce genre de problématique.
L’agro-business représente beaucoup d’emplois, et il ne suffit donc pas de dire qu’il faut fermer les abattoirs. De même, cette travailleuse est objectivement une meurtrière puisqu’elle tue des poulets, mais pas subjectivement : elle n’a rien choisi.
Et elle ne se voit pas faire cet emploi pendant 42 années, une manière de souligner le caractère inhumain de l’entreprise.
Pourquoi n’arrête-t-elle pas, demandera-t-on ? C’est là que montrent leurs limites tant l’antispécisme que la lutte pour les « droits des animaux. » Car cette travailleuse n’a pas choisi l’oppression, l’antispécisme se trompe en opposant les humains aux animaux, de manière abstraite.
Et les droits des animaux ne pourront jamais exister dans une société où l’exploitation animale ramène un tel profit. En fait, tant qu’il n’y aura pas de critique de la nature même de la société, le véganisme n’avancera pas.
Critique de la société cela veut dire critiquer l’absence de la nature, son rejet en périphérie de villes toujours plus géantes et invivables. Cela veut dire aussi critiquer le mode de vie, tant celle de travailler que de passer son temps dans une société de consommation.
Le texte de Walter Bond sur son expérience dans les abattoirs est d’un grand intérêt, car il montre justement comment les humains confrontés aux massacres peuvent réagir, si on leur en donne les moyens, si on ne les rejette pas abstraitement comme « assassins. »
Il est totalement ridicule de critiquer la viande halal ou casher, ou encore les Chinois, etc., car tout cela est de la stigmatisation abstraite, de la généralisation fondée uniquement sur des clichés, des stéréotypes.
De la même manière, les gens qui travaillent dans les abattoirs le font car ils n’ont pas eu le choix, ils ont été entraînés dans la nécessité de gagner de l’argent pour vivre.
La travailleuse qui veut partir plus tôt à la retraite exprime un besoin bien plus grand qu’elle n’en a elle-même conscience. Mais alors, pour la convaincre, il faudra un projet solide, pas seulement des arguments moraux. Et là, seule est valable comme objectif l’harmonie avec Gaïa, au lieu de la destruction et du meurtre, conduisant à des vies aliénées et exploitées pour les humains.
Ce n’est pas 42 années, ni même 37,5 années qu’il faut travailler dans la « découpe de volaille », mais justement pas du tout. Pour cela, la société doit changer ses fondements et avoir des choix tournés vers l’harmonie avec notre planète, en refusant l’asservissement, l’exploitation, l’humanité faisant le choix d’être naturellement heureuse, tout simplement!
Teddy Goldsmith: le Tao du milliardaire
Le nom de Teddy Goldsmith ne dira pas grand chose aux personnes véganes, ni souvent aux personnes intéressées par l’écologie. Issu d’une famille richissime et frère de James Goldsmith (ancien patron du très anticommuniste L’Express dans les années 1980 et député européen sur la liste « souverainiste » de Villiers de 1994 à 1999), il s’agit pourtant d’une figure très importante, dont les idées influencent grandement l’écologie « traditionnelle », à coups de larges investissements tant dans des revues (comme « The Ecologist » qui a une version française) et de promotions de diverses personnalités mettant en avant les mêmes idées.
Et quelles sont ces idées? Celle du retour en arrière à des communautés « saines », hiérarchisées, se fondant sur la famille, encadrées de manière ethnique… Des idées qui sont typiquement celles de l’extrême-droite, et qui forment une tentative assumée de refuser tant la libération animale que la libération de la Terre.
Teddy Goldsmith (1928-2009) avait de larges moyens, tout comme par ailleurs son frère le financier James Goldsmith. Il les a utilisés pour se poser en théoricien écologiste, entraînant à sa suite toute une série de personnes d’accord avec lui pour prôner un retour en arrière, à une société rurale totalement idéalisée.
Ce primitivisme de millionnaire est largement réputé et respecté dans les milieux intellectuels aisés: Teddy Goldsmith a ainsi été fait Chevalier de la Legion d’Honneur, Le Monde a salué sa mémoire à sa mort, etc. Il n’y a évidemment pas de hasard à cela…
Car Teddy Goldsmith associe deux idées très utiles aux grandes entreprises. Il ne critique en effet pas celles-ci, mais la « technique. » Il reprend directement (mais sans le dire!) le philosophe allemand pro-nazi Heidegger, qui explique que les individus perdent leurs « racines » en raison du développement de la technique partout dans le monde.
Face à cette « occidentalisation » du monde, il y a donc lieu de prôner le localisme et évidemment leur aspect ethnique. C’est la théorie typiquement d’extrême-droite qu’est « l’ethno-différentialisme ».
Chaque peuple est « parfaitement adapté » à son environnement et son esprit est différent des autres peuples. Teddy Goldsmith ne dit pas autre chose quand il explique « l’évolution sociale avait elle aussi mené à la formation d’une grande diversité des groupes sociaux et de communautés ethniques tout aussi complexes, chacun parfaitement adapté à son environnement particulier. »
Un peuple « adapté » à son environnement est « unique » et il faut donc le préserver, il ne doit pas se mélanger. C’est en ce sens qu’il faut comprendre que Goldsmith est l’un des fondateurs de l’association « Survival International » qui défend les « peuples indigènes »…
La seconde idée de Teddy Goldsmith est empruntée à Nietzsche. Bien évidemment, il ne le dit pas. Il s’agit du concept comme quoi « Dieu est mort. » Exactement comme l’extrême-droite, Teddy Goldsmith met en avant le retour aux vrais dieux, ceux d’avant le monothéisme, et parle d’une relation « tellurique » au monde « chtonien ».
Dans cette idéologie, seul l’homme traditionnel est « authentique », car il est relié à la terre, « sa » terre. Celle-ci lui parle, par l’intermédiaire de dieux que l’être humain s’invente. Ces dieux sont faux mais ce qu’ils disent est vrai: ils permettent une relation au « cosmos ».
Les dieux sont « chtoniens » (cachés dans les terres) et l’être humain a une relation par l’intermédiaire de la terre (d’où le « tellurique »): Dieu est mort mais les dieux, eux, rendus vivants par l’homme, parlent à l’homme et lui disent des « vérités ».
Cette idée est absolument typique de l’extrême-droite de la fin du 19ème siècle (c’est en ce sens qu’il faut comprendre le mot de Pétain: « La terre, elle, ne ment pas »).
C’est dans son livre « Le Tao de l’écologie » que Teddy Goldsmith explique ses grandes idées d’une liaison « cosmique » entre un individu et son peuple, et ce peuple et la planète. Il fantasme sur la liaison « véritable » au cosmos qu’auraient eu chaque peuple, selon son « génie » particulier bien entendu: le « R’ta » des Aryens en Inde, le « Rê » en Egypte, Thémis en Grèce, l’Asha en Perse antique, le Tao des Chinois etc.
Teddy Goldsmith explique même que « ces termes désignent fréquemment l’ordre cosmique, mais plus souvent encore la voie ou le Chemin que l’on doit suivre pour préserver cet ordre spécifique. »
Evidemment, si Teddy Goldsmith cherche à éviter la politique, il ne le peut pas tout le temps, et lorsqu’il le fait la cause est entendue: c’est l’extrême-droite qui est justifiée. Non pas l’extrême-droite en tant que nationalisme de type borné, brutal, etc., non: la véritable extrême-droite, celle qui veut retourner en arrière, à la pureté. Teddy Goldsmith donne ainsi son point de vue au sujet des fondamentalistes:
« L’incapacité de plus en plus patente de toutes les politiques fondées sur la conception moderniste du monde et ses paradigmes dérivés, scientifique et économique, à répondre aux besoins psychologiques les plus profonds, ou même à résoudre aucun des problèmes qui menacent notre survie sur cette planète, crée des conditions de plus en plus propices à l’émergence de mouvements revitalistes.
Il y a de grandes chances que ces mouvements soient touchés par les idées écologiques, qui sont dans l’air du temps et dont la pertinence est chaque jour davantage apparente, même aux plus aveugles d’entre nous.
Certains signes donnent à penser que ces mouvements pourraient prôner un retour à un mode de vie traditionnel. Ainsi, alors même que la montée du fondamentalisme dans les pays musulmans et en Inde apparaît comme une poussée très antipathique de chauvinisme, de fanatisme et d’intolérance, c’est aussi indéniablement une réaction contre l’impérialisme économique occidental et la dislocation des cultures et des traditions musulmanes et hindoues provoquée par le développement scientifique, technologique et industriel occidental. »
Comme on le voit les choses sont très claires: Teddy Goldsmith prône le retour en arrière. De la même manière que les Talibans veulent faire reculer la roue de l’histoire, afin de vivre de la même manière que les premiers musulmans à la période de Mahomet, Teddy Goldsmith veut lui faire comme Gandhi et en retourner aux petites sociétés communautaires, où tout est traditionnel.
Voilà pourquoi, selon Teddy Goldsmith, « ‘l’écologie est une foi. » Ce qu’il veut dire par là, c’est que l’individu doit rentrer en contact avec les « forces telluriques. » Il doit atteindre le sacré, un sacré qui n’est pas divin parce que Dieu n’existe pas, mais un sacré qui serait la nature elle-même.
Teddy Goldsmith parle donc de « Gaïa » mais sa vision est en fait exactement celle du film Avatar: une sorte de monde ultra hiérarchisé, où tout reste à sa place, où tout est « prédestiné », et donc serait par là « authentique ». Il y aurait des « lois naturelles » (Teddy Goldsmith célèbre la Grèce antique qui aurait soit disant obéi à ce principe):
« L’homme traditionnel savait que le monde est un, qu’il est vivant, organisé selon un certain ordre et une certaine hiérarchie, et que tous les êtres vivants qui l’habitent sont étroitement interdépendants et coopèrent pour lui conserver son intégrité et sa stabilité ».
Pas étonnant que dans cette logique « traditionnelle », tous les théoriciens d’extrême-droite se précipitent sur l’idéologie de Goldsmith… Tout comme il n’est pas étonnant que jamais il ne soit parlé de véganisme.
Tout comme dans le film « Avatar » les hiérarchies sont justifiées: le projet de Goldsmith n’a rien à voir avec celui de la libération totale!