D’habitude nous ne publions que des articles que nous avons écrit, ou bien des communiqués de telle ou telle association; nous évitons les articles des grands médias car leur point de vue, bien entendu, n’est en rien en adéquation avec le nôtre.
L’exception confirme la règle, parfois, dont cette fois avec un très intéressant papier du Monde, au sujet de l’intense activité de BP pour « dépolluer son image. »
La tactique n’est pas nouvelle: il faut que tout change, pour que rien ne change. BP prend les devants, encadrant autant que possible toute initiative concernant la marée noire.
Evidemment, cela est possible parce qu’il n’y a pas de mouvement en faveur de l’océan lui-même, pour Gaïa elle-même. En tout cas, l’article vaut le coup d’oeil.
BP est partout. BP s’occupe de tout. BP finance tout. Deux semaines après l’explosion de la plate-forme Deepwater Horizon, le géant du pétrole a déployé à terre une armada qui tente de compenser son impuissance à enrayer une fuite qui déverse encore 5 000 barils de brut par jour dans le golfe du Mexique.
Les personnels de BP sont omniprésents. Va-t-on à la conférence de presse de la responsable des pêcheries nationales sur le « mystère » des tortues échouées sur la plage ? Un représentant de la compagnie est assis à la même table et la conversation dérive sur le « dôme » de 98 tonnes de ciment et 14 m de haut que les robots de BP sont en train d’essayer de placer sur la fuite.
Une réunion à Biloxi de propriétaires de bateaux prêts à s’enrôler dans la lutte contre la marée noire ? C’est BP qui l’organise. Les mariniers toucheront 1 500 dollars par jour pour les petits bateaux. 2 000 dollars pour les gros. Ils devront surveiller la pollution ou traîner des éponges censées absorber le pétrole.
Une session de formation au nettoyage des plages organisée à l’université du comté de Pascagoula ? L’instructeur, un professeur de biologie, est indemnisé par BP. La compagnie a fourni les contenus, indique-t-il. L’établissement s’est contenté des diapositives.
Jusqu’à présent, les habitants du golfe du Mexique ne se plaignent pas de cette ubiquité, compte tenu de la responsabilité de la BP dans une marée noire qui continue de s’approcher des côtes comme dans un « cauchemar au ralenti ». Les associations de défense de l’environnement s’inquiètent, en revanche, du contrôle exercé par la compagnie britannique. La plus ancienne d’entre elles, le Sierra Club, a réclamé mercredi 5 mai une « nationalisation » des opérations de nettoyage par le gouvernement fédéral.
Depuis que Barack Obama est venu passer le dispositif en revue le 2 mai en Louisiane, le « commandement unifié » est passé sous la supervision de l’amiral Thad Allen, le chef des garde-côtes. Mais dans les faits BP joue le rôle d’organisateur en chef des opérations.
Du PDG Tony Hayward, qui apparaît tous les jours sur les chaînes locales, dans un polo d’homme du peuple, à Steve Rinehart, qui arrive tout droit d’une succursale de l’Alaska, près de 3 000 employés de la compagnie ont été dépêchés de la Louisiane à la Floride en passant par le Mississippi et l’Alabama.
Tony Hayward l’a dit : il veut « gagner les coeurs et les esprits ». Après avoir songé à une massive campagne publicitaire, la compagnie a tranché pour une communication de proximité. Des brigades légères d’une dizaine de personnes ont été dispersées dans chaque comté.
Les « BP » passent dans les mairies, contactent les associations, répondent aux numéros d’urgence, préparent le dépôt des plaintes. Ou attendent les journalistes au fin fond de la Louisiane, comme Irvin Lipp. Spécialiste de relations publiques et de gestion de crises, ancien de DuPont, il a été recruté par BP pour un contrat « marée noire ».
A Biloxi, BP s’est installée dans l’immeuble des services publics du Mississippi. Le directeur des affaires maritimes William Walker, qui travaille au troisième étage, a alloué l’auditorium à la compagnie britannique. Tous les bureaux sont flambant neufs, achetés en deux jours, et pourvus d’ordinateur. C’est le seul endroit protégé par un vigile privé.
Directrice de la communication interne au siège national, Lisa Houghton, est en jean et tennis, loin des tailleurs des cadres de Houston. Elle répète le message : « C’était une plate-forme Trans-Ocean, mais nous sommes responsables. Nous avons l’intention de payer. »
Le 5 avril, la compagnie a offert 25 millions de dollars (environ 20 millions d’euros) à chacun des Etats affectés pour accélérer la mise en place des plans d’urgence. Une broutille en attendant le gros des indemnisations, qui viendra plus tard. BP ne lésine sur rien.
« On avait besoin d’un appareil réfrigérant. Le lendemain, il était là », admire Sheryan Epperly, la spécialiste des tortues. La compagnie paie jusqu’aux bouteilles d’eau que les employés ont à coeur d’apporter en signe de bonne volonté. « Et si l’eau est à 1,5 dollar, on leur dit « Tenez voilà 2 dollars » ! », explique Lisa Haughton.
BP a recruté des sous-traitants dans tous les domaines. Pour la formation des milliers de bénévoles qui se sont inscrits pour sauver les oiseaux, pour les déploiements des barrières gonflables, pour la gestion des demandes de dédommagements. Et même pour les études de la qualité de l’air, qui ont été confiées à l’Institut CTEH (Center for Toxicology and Environmental Health) de l’Arkansas.
Pour le Sierra Club, c’est là que le bât blesse. Michael Brune, le directeur exécutif de l’association, est venu de San Francisco pour prendre la mesure des dégâts. Il est impressionné par l’étendue de la pollution et par la collusion public-privé dans l’organisation.
« Il est normal que BP compense les pertes, dit-il. Mais elle ne devrait pas avoir le pouvoir de prendre les décisions sur le nettoyage. » Selon lui, BP est juge et partie, alors qu’une tierce partie indépendante est nécessaire pour procéder aux tests. « Ce qu’ils nettoient surtout, c’est leur image. » Pour lui, le gouvernement fédéral est « beaucoup trop proche de BP. Nous avons besoin d’une séparation du pétrole et de l’Etat ».
Dans la baie de Mobile, à 2 km de la côte, les plates-formes continuent, quoiqu’il arrive, de s’activer. « Tout le monde sait bien que, dans le golfe du Mexique, le pétrole est roi », explique un entrepreneur. L’homme souhaite rester anonyme. BP lui a « interdit de parler ».