Nous ne sommes pas à LTD des personnes expertes en droit. Mais à ce qu’il nous semble les médias non plus, et peut-être pas par hasard. Parce que nous de ce que nous avons compris, Total a payé… mais se fera rembourser. Donc Total, finalement, ne paiera pas.
En effet, ce que les médias disent, c’est que Total a dû déjà payé 170 millions d’euros, sous la pression populaire. Ce qu’ils ne disent pas, c’est qu’il existe un organisme qui s’appelle le FIPOL et qui justement est là pour payer dans ce genre de situation. Et que c’est finalement le FIPOL qui paiera, pour ce que nous avons compris!
Rappelons les faits: le 12 décembre 1999, le pétrolier l’Erika s’est brisé au large des côtes bretonnes lors d’une tempête, avant de sombrer et déverser 20 000 tonnes de fioul sur 400 km.
Cette catastrophe écologique à ravagé la nature environnante et tué des dizaines de milliers d’oiseaux. Sans doute 150.000.
Et là en mars 2010, le procès se termine enfin. Quel est le bilan?
1. Les indemnités à verser augmentent… Une victoire?
Sur le papier, les victimes humaines peuvent être contentes. Le tribunal a porté de 192,5 à 200,6 millions d’euros les indemnités à verser.
Et c’est une victoire d’autant plus intéressante que des organismes comme la LPO ont pu intégrer l’écologie dans les revendications, car théoriquement il n’y a que le nettoyage des plages qui est payé. Les animaux ne comptent pas. Là on leur a mis un prix, et le carnet de chèques a été sorti.
Seulement, la vie a-t-elle un prix marchand? Peut-on accepter que les grandes entreprises exploitent et polluent, en payant parfois lorsque les dégâts sont trop apparents?
Car le résultat du procès valide une sinistre réalité: les entreprises comme Total ne sont responsables de rien, et donc n’ont rien à payer…
2. Total responsable, mais pas coupable?!CLC
En effet, les capitalistes du monde entier se serrent les coudes. Les affréteurs de bateaux peuvent ainsi payer des amendes, mais ne paient pas les dégâts!
Car ils dépendent d’une convention internationale: la CLC (International Convention on Civil Liability for Oil Pollution Damage).
Et qu’est-ce que signifie tout cela? Que les affréteurs ont leur propre système d’assurance, par un fonds intergouvernemental, appelé FIPOL (Fonds international d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures).
Conséquence: contrairement au tribunal correctionnel, qui avait considéré dans son jugement du 16 janvier 2008 que la compagnie pétrolière Total était pénalement responsable, cette fois l’entreprise n’est pas considérée comme responsable civilement des dégâts provoqués.
Et ne peut donc pas voir sa responsabilité civile engagée au titre des dommages et intérêts! Daniel Soulez-Larivière, avocat de Total, s’est empressé d’expliquer: « Total n’a pas de responsabilité civile dans cette affaire, c’est expressément dit par la cour. »
Par conséquence, oui les indemnités augmentent, mais elles seront payées par la société de classification Rina et l’armateur Giuseppe Savarese, ou plus exactement par leurs assurances.
3. Mais alors pour le reste qui paie quoi?
Nous avons eu du mal à saisir tout cela avec les innombrables embrouilles médiatiques, mélange de mauvaise foi et de méconnaissance.
Mais ce qu’il ressort de notre compréhension du problème est que Total ne paiera pas 170 millions, contrairement à ce qui a été dit.
Pourquoi? Parce que comme dit plus haut les affréteurs ont leur propre système d’assurance: le FIPOL.
C’est ce Fonds qui paie, à ce qu’il nous semble. Total peut donc prétendre d’un côté avoir payé pour les dégâts de l’Erika, alors que de l’autre il y a tout un système pour protéger les grandes entreprises et permettant le remboursement.
Sur le site du FIPOL, on peut par conséquent trouver cela:
Les faits
Le 12 décembre 1999, l’Erika s’est brisé en deux au large des côtes bretonnes en France, alors qu’il transportait environ 30 000 tonnes d’hydrocarbures lourds. Environ 19 800 tonnes se sont déversées. 6 400 tonnes d’hydrocarbures sont restées dans la partie avant immergée, et 4 700 tonnes dans la partie arrière.
Le pompage des hydrocarbures jusqu’à la surface s’est déroulé entre juin et septembre 2000.
Des opérations de nettoyage ont été menées le long des quelque 400 kilomètres de côtes polluées où plus de 250 000 tonnes de déchets mazoutés ont été récupérées.
Le régime d’indemnisation: qui paye?
Particuliers, commerces, entreprises privées, organismes publics: quiconque a subi un dommage par pollution du fait du sinistre de l’Erika peut prétendre à l’indemnisation, laquelle est disponible aux termes de la Convention de 1992 sur la responsabilité civile et de la Convention de 1992 portant création du Fonds, telles qu’incorporées dans la législation française.
Un montant d’environ € 12,8 millions (£12,2 millions) est disponible à titre d’indemnisation auprès de l’assureur-responsabilité du propriétaire du navire, le Club P&I Steamship Mutual. Des indemnités complémentaires pouvant atteindre € 172 millions (£164,5 millions) sont en outre disponibles auprès du Fonds international d’indemnisation de 1992 pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (Fonds de 1992). Autrement dit, c’est une somme globale de € 185 millions (£177 millions) qui est disponible.
Peuvent donner lieu à indemnisation les frais effectivement encourus et les dommages effectivement subis du fait d’une pollution par les hydrocarbures. Toute demande d’indemnisation doit obligatoirement être accompagnée de pièces justificatives.
Et sur le site de Total, on trouve cela (nous soulignons):
Les indemnisations sont du ressort du FIPOL (Fonds d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures). Le FIPOL est un fonds créé entre les États signataires de conventions internationales dont l’objet est précisément d’accélérer et de simplifier les procédures d’indemnisation des victimes des marées noires.
Depuis le naufrage de l’Erika, Total a soutenu la création d’un fonds complémentaire permettant d’accroître le montant des sommes disponibles pour indemniser les victimes de marées noires (plafond d’indemnisation : 900 millions d’euros aujourd’hui, au lieu de 185 millions d’euros en 1999).
Fin 2006, l’Etat avait reçu un début d’indemnisation de 40 millions d’euros.
Total cotise au FIPOL au prorata de ses importations d’hydrocarbures dans les États membres. Cependant, sans attendre la mise en route du système d’indemnisation, Total a dépensé près de 200 millions d’euros dans les trois domaines où il disposait des technicités et du savoir-faire pour remédier aux conséquences de la marée noire ou en limiter les effets.
Le système d’indemnisation des victimes de marées noires est régi par des conventions internationales ratifiées par un très grand nombre d’États. Ce système cohérent permet d’apporter une indemnisation aux victimes sans avoir besoin d’engager une procédure devant un tribunal afin de rechercher les responsabilités.
Ce qui ressort de tout cela, c’est que finalement, Total n’aura à payer que quelques amendes, mais certainement pas 200 millions. Le plus délirant, c’est que même si nous nous trompions ici, et que Total payait cela, ce n’est rien pour cette entreprise qui a une rentabilité de 12,585 milliards d’euros net après impôts en 2006.
Néanmoins, ce qu’il nous semble, c’est que même s’il est dit partout que Total a payé, pour ce que nous avons compris Total n’a fait qu’avancer les fonds car le FIPOL ne disposait pas d’assez de cash, tout en voulant être remboursé tout à la fin du processus.
Tout cela est d’ailleurs logique dans ce gigantesque mécano de magouilles, que même le quotidien Libération est obligé de constater:
« Le Fipol est devenu le seul moyen d’indemniser les victimes de marées noires, tant la chaîne du transport maritime est devenue complexe et opaque : propriétaires, gestionnaires, affréteurs, certificateurs, courtiers, pavillons de complaisance et paradis financiers forment une nébuleuse quasiment impossible à démêler. »
Le procès de l’Erika n’est donc nullement une victoire, il est au contraire la démonstration de l’opacité d’un système, et du fait que des géants comme Total peuvent bien employer à leur service des bateaux-poubelles, au pire ils s’en sortent avec des amendes!
La reconnaissance du « préjudice écologique » n’est alors en rien une victoire: juste une reconnaissance du fait que les géants de l’industrie polluent, et peuvent se permettre par l’intermédiaire des Etats, de sortir le carnet de chèques…
La Ligue de Protection des Oiseaux elle-même doit le reconnaître dans son communiqué suite au résultat du procès:
« Alors qu’il y a dix ans, seul le vivant commercial était reconnu, le vivant non commercial a aujourd’hui un prix. Mais attention, cela ne signifie pas que nous pouvons le marchander ! Il s’agit seulement d’un nouvel outil au service des « avocats » de la nature et une contrainte supplémentaire dissuasive pour les pollueurs potentiels. Nous ne sommes, en effet, malheureusement pas à l’abri d’une nouvelle catastrophe. »
Quelle folie que d’être heureux que « le vivant non commercial » ait un prix! Folie sous-tendant également qu’il y a un « vivant commercial »… Quelle horreur!