Tout comme le nouvel an lié au soleil – le Norouz – qui s’est maintenu malgré ou à travers l’Islam en Iran (le nevroz), le « turbah » révèle beaucoup de choses de la tradition du rapport à la Nature en Perse historiquement.
On connaît en effet le principe du tapis de prière des hommes dans l’Islam. Sauf qu’en fait, ce n’est vrai que chez les musulmans sunnites. Chez les chiites, dont la base est persane, on doit pour les hommes prier à même la terre, ou bien sur de la pierre, sur du sable ou de l’herbe.
On reconnaît aisément la nature de ces éléments, sorte de base primordiale de la matière, de parties les plus élémentaires… En particulier dans des zones du monde où le désert, l’aridité a une telle importance.
Le Coran explique lui-même également que Dieu aurait procédé à la création de l’être humain au moyen d’argile (« Nous avons certes créé l’homme d’un extrait d’argile »).
L’Islam chiite, en plus de ces éléments « primitifs », autorise le papier, car il provient d’un arbre. Mais on n’a pas le droit de se prosterner sur un tapis ou sur des vêtements, ni même sur des végétaux pouvant servir à fabriquer des vêtements.
Ce qui est visé, c’est la pureté du contact avec ces éléments « primordiaux ». Le rapport le plus direct à la Nature est ici évident et la religion a tenté de briser en partie ce rapport au moyen de la turbah, le mot voulant directement dire terre ou boue par ailleurs.
Il s’agit d’un petit objet, le plus souvent en forme de disque, fait de terre, sur laquelle les hommes posent leur front au moment de prosterner. Cependant, il y a des limites dans la récupération. Ainsi, la turbah ne doit pas être faite de terre cuite, c’est-à-dire qu’elle doit conserver sa dimension à proprement parler naturelle.
A cela s’ajoute que les éléments sur la turbah – un nom en arabe, la représentation d’un mausolée, les noms des douze imams à la suite de Mahomet – ont tellement de relief, que la forme vient s’imprimer littéralement sur le front. L’importance de ce phénomène est essentiel pour comprendre comment le rapport à la Nature a été dévoyé en religion.
Rappelons en effet que chez les musulmans chiites, les douze imams à la suite de Mahomet, tous morts en martyr sauf le dernier qui s’est « voilé » et revient à la fin des temps – servent d’intercesseurs entre le monde de l’au-delà et le monde matériel. La Nature se voit ici « chiper » la première place par ces entités magiques.
S’incruster ce qui est inscrit permet d’avoir un rapport direct avec les intercesseurs… Pour bien souligner cela, il faut que la terre dez la turbah soit celle autour d’un mausolée d’une figure sainte, idéalement celle de Hussein, le fils d’Ali, mort lors de la bataille de Kerbala, grand symbole de la martyrologie chiite.
La turbah devient alors pratiquement une amulette aux propriétés protectrices ou thérapeutiques, au point de connaître deux nouvelles formes : celle en tant que chapelets, celle directement absorbée diluée dans l’eau (à quoi s’ajoute même l’onction des mains et du front d’une personne décédée).
L’Islam chiite affirme conserver dans sa mémoire religieuse, dans cette perspective pratiquement panthéiste en version religieuse, la phrase suivante qu’aurait prononcé Mahomet :
« La terre m’a été donnée en tant que lieu de prosternation et de purificateur. »
Tout cela semblera naturellement à la fois pétri de superstition et de lien fantasmé avec la Nature. Cependant, il serait absurde de ne pas voir une quête évidente de dignité dans le rapport au monde.
On ne trouve pas historiquement en Perse de réel pas vers les animaux, mais la végétation est puissamment reconnue comme ayant une valeur en soi ; les éléments naturels comme la terre elle-même se voient accordés une valeur aussi. Sans doute faudrait-il, pour avoir la réponse, demander aux gens tenant le restaurant végétalien de Téhéran, qui s’appelle… Zamin, c’est-à-dire la terre.
Le 21 juin, c’est l’arrivée du printemps et dans l’aire culturelle persane, cela est fêté de manière grandiose.
C’est une fête très ancienne (autour de trois mille ans), qui date bien entendu d’avant le triomphe du monothéisme.
L’origine du mot employé, Norouz, vient d’ailleurs d’une très vieille langue, l’avestique, les racines étant modifiées pour donner « no », « nouveau », et « rouz », le jour.
L’UNESCO a placé en 2006 cette fête sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. En voici la présentation, qui souligne la célébration de la Nature, du renouveau de la vie.
Le Novruz, ou Nowrouz, Nooruz, Navruz, Nauroz, Nevruz, marque le nouvel an et le début du printemps dans une zone géographique très étendue, comprenant, entre autres, l’Azerbaïdjan, l’Inde, l’Iran, le Kirghizistan, le Pakistan, la Turquie et l’Ouzbékistan.
Il est fêté chaque 21 mars, date calculée et fixée à l’origine en fonction des études astronomiques.
Le Novruz est associé à des traditions locales diverses, par exemple l’évocation de Jamshid, roi mythologique d’Iran, à des nombreux récits et légendes.
Les rites qui l’accompagnent dépendent des lieux, depuis les sauts par-dessus les feux et les ruisseaux en Iran jusqu’aux marches sur la corde raide, le dépôt de bougies allumées à la porte de la maison, en passant par des jeux traditionnels, tels que des courses de chevaux ou la lutte traditionnelle pratiqués au Kirghizistan.
Chants et danses sont presque partout la règle, ainsi que des repas semi-sacrés familiaux ou publics.
Les enfants sont les premiers bénéficiaires des festivités et participent à nombre d’activités comme la décoration d’œufs durs.
Les femmes jouent un rôle central dans l’organisation et le déroulement du Novruz, ainsi que dans la transmission des traditions.
Le Novruz promeut des valeurs de paix, de solidarité entre les générations et au sein des familles, de réconciliation et de bon voisinage, contribuant à la diversité culturelle et à l’amitié entre les peuples et les différentes communautés
Ce dernier point est très important, car le Novruz est une fête concernant tout son entourage, comme l’UNESCO le souligne. Il y a une portée universelle, dans un rapport avec la Nature qui est assumé.
Une importante tradition propre à cette période veut que les individus se rassemblent autour d’une table, décorée d’objets qui symbolisent la pureté, la clarté, la vie et la richesse, pour partager un repas avec leurs proches.
Les participants portent à cette occasion de nouveaux vêtements et rendent visite à leurs parents, notamment à ceux qui sont âgés, et à leurs voisins.
Des cadeaux, surtout destinés aux enfants, sont échangés ; il s’agit généralement d’objets fabriqués par des artisans.
Le nawrouz inclut également des spectacles de musique et de danse donnés dans la rue, des rituels publics faisant intervenir l’eau et le feu, des sports traditionnels et la fabrication d’objets artisanaux.
La fête dure douze jours et la tradition veut que le 13ème, on aille pique-niquer ; c’est le sizdah, « passer le treizième jour à l’extérieur ». Les jeunes filles célibataires font même des noeuds dans le gazon, pour espérer être marié dans l’année.
On l’a compris, le printemps c’est le retour de la vie, de la fertilité. Aller pique-niquer collectivement, c’est un retour à la Nature, la végétation étant particulièrement valorisée dans la culture persane, historiquement pas du tout tourné vers les animaux par contre.
Voici la liste des éléments utilisés désormais pour cette fête en Iran, présentée par la revue de Téhéran, et qui tournent justement autour de la fertilité. Même la religion a dû céder devant la force de cette fête célébrant la vie…
La tradition principale de Norouz est la disposition des haft sin. Il s’agit de sept éléments dont le nom commence par la lettre « s » ou sin de l’alphabet persan.
On les dispose sur une nappe sur la table et ils y restent jusqu’au 13e jour après le nouvel an.
Le plus souvent, on décore la table avec d’autres objets tels que des œufs colorés (symbole de fertilité), des bougies (bonheur), des poissons rouges (vie), ainsi qu’avec le Coran, le Divân de Hâfez ou le Shâhnâmeh et un miroir.
Voici quelques objets avec lesquels les Iraniens décorent leur table de haft sin :
sabzeh – germe de blé ou lentille poussant dans un plat (symbole de la renaissance)
sir – ail (symbole de la médecine)
samanou – crème très sucrée faite avec des germes de blé (symbole de l’abondance)
senjed – fruit séché du jujubier (symbole de l’amour)
somâq – baies de sumac (symbole de la couleur du lever du soleil et santé)
sib – pomme (symbole de la beauté et bonne santé)
serkeh – vinaigre (symbole de l’âge et la patience)
sonbol – jacinthe (symbole de l’arrivée du printemps)
sekkeh – pièces de monnaie (symbole de la prospérité et de la fortune)
Voici une représentation idéalisée sur un mode conservateur de cette fête, dans une lecture moins festive. On peut y voir toutefois les éléments décrits pour le haft sin.
Voici une petite présentation en vidéo résumant le principe du norouz.
On notera également que la veille du dernier mercredi avant la fête de Norouz, il y a une fête appelée « Chaharshanbe suri », où les gens sautent au-dessus de feux improvisés.
Voici la présentation par le site Persiennes, afin de saisir le principe :
L’Iran connait les derniers jours de l’an 1394 du calendrier perse, et ce soir, le dernier mardi soir précédant Norooz (le nouvel an perse) c’est « Chaharshanbe suri » ou, la Fête du Feu.
Un soir où l’Iran brille, dans la joie. Des feux sont allumés sur les places des villes, des feux d’artifice éclatent ça et là.
Le feu symbolisant l’espérance, un bonheur qui irradie la nouvelle année.
Un feu qu’on défie, en sautant au dessus de brasiers et en récitant la phrase traditionnelle : « Zardie man az to, Sorkhie to az man » signifiant « je te donne ma couleur jaune, tu me donnes ta couleur rouge ».
Confier ainsi sa pâleur, sa fatigue et prendre toute la bonne énergie du feu qui crépite, pour une nouvelle année pleine de force.
C’est une fête populaire avec des pétards, des feux d’artifice, des sucreries qui sont données : l’Adjilé Moshkel Gosha (un mélange de noisettes, de noix de cajou, de noix, de pistaches, de raisins secs et de mûres blanches séchées). Il y a de grandes variations selon les régions, avec d’autres traditions s’y ajoutant.
Concluons justement avec une histoire, pas du tout végane malheureusement malgré son culte de la vie, qui est une version kurde d’une légende persane, racontée notamment dans le fameux Livre des Rois de Ferdowsi.
Ici Zahak devient Dehak et Kaveh devient Kawa, mais la particularité surtout est que cette histoire est précisément ce qui est célébrée dans l’équivalent kurde du Norouz, le Newroz.
Il y a bien longtemps, entre les deux grands fleuves du Tigre et de l’Euphrate, était une terre appelée Mésopotamie.
Au-dessus d’une petite ville dans la montagnes de Zagros, était un énorme château de pierre avec des grandes tourelles et de hauts murs foncés.
A l’intérieur de ce château, vivait un roi cruel nommé Dehak. Ses armées terrorisaient toutes les personnes vivant sur ses terres.
Tous les rois précédents avaient été bons et avaient encouragé le peuple à irriguer la terre et à maintenir leurs champs fertiles.
C’est pendant le règne du roi appelé Djamshid que les choses ont commencé à changer. De part ses actions, il a perdu la faveur de son peuple. Un esprit du mal appelé Ahriman, saisi cette chance, choisi Dehak pour succéder au trône et tue Djamshid.
Le mauvais esprit, déguisé en cuisinier, alimentait Dehak avec le sang et la chair des animaux. Un jour Dehak l’a complimenté sur ses plats de viande . Il l’a remercié et a demandé de lui embrasser ses épaules. Ce que Dehak accepta.
A ce moment là, deux serpents noirs géants sont apparus sur ses épaules. Dehak fut terrifié et a tout essayé pour s’en débarrasser. Lorsqu’il les coupaient, ils réapparaissaient aussitôt.
Ahriman (le mal) déguisé en tant que médecin et a indiqué à Dehak qu’il ne pourrait jamais se débarrasser des serpents ; et que, quand ils auront faim, ils devraient être nourris de cerveaux de jeunes garçons et filles.
Depuis ce jour noir, tous les jours, deux enfants étaient choisis parmi les villes et les villages autour du château. Leurs cerveaux ont été placés aux portes de château et placés dans un grand seau en bois et donnés au serpents.
Depuis ce jour, le soleil a refusé de briller. Les récoltes, les arbres et les fleurs se sont défraîchis. Les pastèques géantes qui s’étaient développées là pendant des siècles se sont décomposées. Les paons et les perdrix qui avaient l’habitude de se pavaner autour des arbres géants de grenades étaient partis.
Près de ce château, vivait un forgeron. Son nom était Kawa. Dehak avait déjà pris 16 de leurs 17 enfants.
Un jour l’ordre est venu du château que la dernière fille de Kawa devait être tuée et son cerveau apporté à la porte de château dès le jour suivant.
Kawa a réfléchi toute la nuit comment sauver sa dernière fille des serpents de Dehak.
Il a eu une idée… Le matin suivant il est monté sur son cheval, tirant lentement le chariot avec les deux seaux en métal pour les emmener jusqu’au château.
La porte du château s’ouvrit, et deux gardes ont pris les seaux et les ont ramenés dans le château. Les cerveaux ont été donnés aux deux serpents affamés.
Quand Kawa est revenu à la maison il a trouvé son épouse se mettre à genoux devant un feu de bois et pleurait. Il s’est mis également à genoux et a doucement soulevé son grand manteau de velours. Sous ce manteau, y avait leur fille.
Au lieu de sacrifier sa propre fille, Kawa avait sacrifié un mouton et avait mis le cerveau du mouton dans le seau en bois. Et personne n’avait rien remarqué.
Bientôt, tous les citadins ont entendu parler de ce stratagème.
Ainsi, à chaque fois que Dehak exigeait un sacrifice d’enfant, ils ont tous fait la même chose. Ainsi, des centaines d’enfants ont été sauvés.
Ils se sont tous réfugiés dans la montagne de Zagros, là où personne ne pourrait les retrouver. Ils ont appris comment survivre avec leurs propres moyens. Ils ont appris comment monter les chevaux sauvages, comment chasser, pêcher, chanter et danser.
Kawa leur a également appris à se battre pour un jour en finir avec ce roi tyran. Le temps s’est écoulé, et l’armée de Kawa était prête à commencer leur marche vers le château. Ils ont rapidement maîtrisé les hommes de Dehak et kawa a coupé la tête de ce méchant roi.
Il est alors monté tout en haut de la montagne, a allumé un grand feu pour dire aux habitants de la Mésopotamie qu’ils étaient libres.
Sur ce, des centaines de feux ont été allumées pour faire circuler le message. Les flammes se sont élevées haut dans le ciel. L’obscurité avait disparue.
Les fleurs ont lentement commencé à s’ouvrir. Les pastèques ont se sont développées, comme elles l’avaient fait pendant des siècles auparavant. Les aigles sont revenus et ont volé parmi les crêtes de la montagne.
Les feux ont brûlé de plus en plus haut. Le peuple a chanté et dansé au son des tambours en cercle autour des ces feux. Maintenant ils étaient libres.