Les résultats des « primaires de l’écologie »

Les « primaires de l’écologie » – en réalité les primaires d’Europe écologie les Verts et ses alliés – sont terminées et on a maintenant les résultats. Voici les chiffres officiels :

A l’issue du dépouillement, voici les résultats du premier tour de la Primaire de l’écologie.

Eva Joly : 12571 votes, soit 49,75 %
Nicolas Hulot : 10163 votes, soit 40,22 %
Henri Stoll : 1269 votes, soit 5,02 %
Stéphane Lhomme : 1172 votes, soit 4,44 %
bulletins blancs : 94 votes, soit 0,37 %

Si nous parlions des écologistes version bobo, il y a quelques jours, c’est justement pour cela. Il existe une véritable culture écolo bobo, qui a été sous-estimée par Hulot, et qui a même réussi à le mettre dans les cordes.

Hulot considère en effet que l’écologie consiste en de l’accompagnement du gouvernement avec la réalisation de mesures ; pour EELV, il s’agit d’une vision du monde, celle de quartiers urbains pacifiés où l’on peut vivre agréablement quand on dispose de certains moyens…

Hulot est-il dupe de cela ? Pas si sûr. Il y avait déjà sa petite phrase sur Borloo, lors de la campagne des primaires. Et, dans un même registre, il y a sa fondation qui a pris hier une décision… pour le moins étrange.

En effet, la Fondation pour la Nature et l’Homme (auparavant la « Fondation Nicolas Hulot ») a décidé de revenir dans le comité de suivi du Grenelle de l’Environnement…

La Fondation l’avait quitté en mars 2010 en raison du report de la fameuse « taxe carbone », report sans date d’ailleurs.

Qu’est-ce qui a changé depuis ? En fait, la Fondation se justifie par la création par Sarkozy d’un « groupe de travail sur la constitutionnalité de la fiscalité écologique. »

Ce qui ne veut strictement rien dire, n’est même pas une mesure concrète, et montre bien qu’il s’agit d’un prétexte pour se replacer au cœur des institutions, comme « porte de sortie » pour Hulot qui, à défaut d’EELV, pourra donc avoir toute légitimité pour devenir ministre de l’écologie d’un Sarkozy (éventuellement) réélu !

Notons au passage que Sarkozy vient d’annoncer un programme de 35 milliards d’euros d’investissements pour l’énergie du futur, un mélange de nucléaire et de développement durable…

Et faut-il rappeler que le Grenelle de l’environnement ne parle pas de nucléaire ? Hulot n’en a parlé que très récemment lui-même, et encore pour dire que Fukushima l’avait fait changer d’avis…

Pas difficile de voir quelles alliances peuvent se profiler ici ! Il y a là un jeu politique très subtil, une belle preuve d’ailleurs de la bataille d’appareils que constituent tous ces gens se goinfrant sur l’écologie.

Pas difficile de voir non plus les conséquences.

Car au sein du « milieu » (au sens le plus large possible) pour les animaux, nombreux étaient les structures rêvant d’un triomphe de Hulot, afin de faire passer en contrebande leur proposition « apolitique » des « droits pour les animaux. »

L’échec de Hulot coule totalement cette option ridicule et ne reposant sur strictement rien à part un désir de reconnaissance médiatique, une volonté d’effectuer des bénéfices commerciaux et la perspective d’une intégration des Universités comme professeurs et autres chercheurs !

On peut être certain que tout ce petit monde soutiendra Jean-Marc Governatori, qui se présentera également à la présidentielle, au nom de l’Alliance écologiste indépendante dont la secrétaire est désormais l’ancienne « star du porno » Zara Whites (qui troque donc PeTA contre Governatori). Vegmag joue bien entendu déjà son rôle de « soutien indirect »…

Governatori, évidemment soutenu par Bardot, « se paie » sa candidature, comme il explique dans une interview:

C’est vrai que je suis l’un des principaux contribuables de France, mais une campagne présidentielle ne coûte pas cher. Je suis outré par les budgets des partis classiques de plusieurs millions d’euros, payés par les contribuables. Une campagne présidentielle coûte au maximum 300 000 euros, essentiellement des frais de déplacement. Le budget est raisonnable, donc on n’aura pas de problèmes à ce niveau-là.

Le cynisme complet de ses propos n’est même pas à expliquer, et choquera comme il se doit toutes les personnes bataillant au quotidien pour conquérir une vie digne tant pour eux et elles-mêmes que pour les animaux… Mais finalement, pourquoi être choqué? Ces propos sont typiques des « appareils » et de ceux qui veulent faire carrière dans les institutions.

Mais l’échec de Hulot est également le triomphe d’Eva Joly, et cela ne va pas aider les « décroissants » qui justement sont censés rejeter les institutions. La candidature de Stéphane Lhomme était symbolique, mais elle se fondait sur le succès triomphal de Hulot…

Elle devait permettre une recomposition grâce à cette résistance symbolique. Maintenant, Stéphane Lhomme apparaît comme celui qui a aidé Eva Joly, celui qui est comme Eva Joly mais en plus dur, en plus idéaliste, etc.

Avec une victoire de Hulot, Stéphane Lhomme aurait pu se laver les mains d’EELV, maintenant il est coincé, et avec lui tous les « décroissants »… On pourra longtemps lui reprocher cette photographie, qui le montre à côté d’Eva Joly (tout à gauche), et prouve qu’il considère au moins avoir des choses en commun avec elle !

Quant à l’écologie, on en n’entendra pas parler. Eva Joly ne vient même pas des Verts, elle hésitait à aller au MODEM avant de rejoindre EELV pour être directement élue. Elle est là car elle représente l’idéal d’un capitalisme écolo et sans corruption, social et sans préjugés.

C’est cela, l’écologie d’EELV, une sorte de grand nettoyage, de réfection… Nullement l’annonce d’un grand retour à la nature, pourtant tant nécessaire !

Jean-Marc Governatori

Stéphane Lhomme candidat aux primaires d’EELV

Les élections présidentielles ont une dimension très fortement personnalisée ; d’une certaine manière en France, c’est un coup d’État légal, où une sorte de roi est élu pour une période déterminée. C’est donc un moment où « l’on se lance. »

Le carriérisme massivement présent chez Europe Ecologie n’en ressort que davantage. Et voici que la saga continue. Nicolas Hulot était mécontent de la date des primaires : qu’à cela ne tienne désormais la direction d’EELV négocie avec lui pour les modalités pratiques (notamment la liste des personnes pouvant voter, Hulot voulant ouvrir le plus largement possible aux personnes non adhérentes à EELV).

Mais voici qu’un troisième larron vient s’ajouter : Stéphane Lhomme. Nous avons parlé de lui au moment de son éviction de son poste de porte-parole du Réseau Sortir du nucléaire. Lui aussi veut être candidat aux primaires d’EELV… dont il ne fait pas partie. Son but est ainsi de mettre Hulot dans les cordes (et avec lui, toute une partie d’EELV).

Voici sa lettre à la responsable d’EELV :

Vendredi 8 avril 2011
Stéphane Lhomme

à Cécile Duflot,
Secrétaire nationale
d’Europe écologie – Les Verts

Objet : candidature à la primaire d’Europe écologie – Les Verts pour l’élection présidentielle

Cécile,
je te prie noter que, par le présent courrier, je fais officiellement acte de candidature dans le cadre de la primaire d’Europe écologie – Les Verts (EELV) pour l’élection présidentielle.

Il est vrai que je ne suis pas adhérent d’EELV mais, chacun le sait, M Hulot non plus… ce qui ne semble pas poser de problème pour qu’il participe à cette primaire (cf ta réponse à Mme Lapix sur le plateau de Dimanche +). Ce qui est possible pour M. Hulot doit nécessairement l’être pour quelqu’un d’autre.
Je te remercie de me faire connaître dès que possible les modalités pratiques et administratives de participation à la primaire.

Stéphane Lhomme
Président de l’Observatoire du nucléaire
Porte-parole du Réseau Sortir du nucléaire de février 2000 à février 2010

La candidature demandée est donc, en quelque sorte, à charge contre Hulot. Voici le point de vue de Stéphane Lhomme :

Nicolas Hulot est le candidat des multinationales

Je me présente à la primaire d’ « Europe écologie – Les Verts » parce que :
– l’animateur de télévision Nicolas Hulot, parrainé par L’Oréal et EDF, veut faire main basse sur l’écologie politique ;
– il faut proposer une écologie offensive contre les multinationales pollueuses et pour une véritable politique sociale.

Par Stéphane Lhomme, Président de l’Observatoire du nucléaire

Présentée comme l’aboutissement suprême de la participation citoyenne au débat public, l’élection présidentielle au suffrage direct est au contraire devenue un rouleau compresseur antidémocratique qui pousse les partis à des « castings » dictés par les sondages et dope les ambitions de vedettes du petit écran.

On ne sera donc pas surpris de constater que l’écologiste cathodique Nicolas Hulot se propose d’être le candidat d’Europe écologie-Les Verts.

A ce compte, pourquoi pas Mimie Mathy, Zidane, Madame de Fontenay où Johnny Halliday ? Si Nicolas Hulot était désigné, ce serait la pire des humiliations pour les tous écologistes.

Conscient qu’il n’est pas très présentable pour un supposé écologiste d’être en affaire avec EDF ou L’Oreal, Nicolas Hulot vient de rompre ses contrats avec ces multinationales pollueuses. Ainsi, d’un claquement de doigts, il serait subitement « lavé » de ces collaborations indécentes pour un « écologiste » ?

Comment croire que les citoyens-électeurs vont se laisser berner par de si grosses ficelles ? Comment croire que les Verts, et les autres écologistes qui agissent sur le terrain depuis si longtemps, vont accepter d’être enrôlés par l’animateur de TF1 ?

En effet, la seule « légitimité » de M Hulot pour représenter l’écologie politique se résume
principalement… en une très forte notoriété. Celle-ci est due à sa présence de longue date, et en « prime time », dans la grille des programmes de TF1, la chaîne de télévision la plus regardée en France. TF1 étant elle-même détenue par la multinationale Bouygues, plus spécialisée dans le bétonnage et la pollution que dans l’écologie.

Pire : il apparaît que c’est le drame de Fukushima qui a décidé l’animateur de télé à franchir le pas vers la politique. Or, tout en se construisant une image médiatique d’écologiste, Nicolas Hulot n’a auparavant jamais levé le petit doigt contre l’atome. Parfois contraint de se prononcer lors d’interviews, il s’en sortait avec des pirouettes du genre « Le nucléaire n’est pas une solution… à terme ».

Mais, le plus souvent, il expliquait que l’atome n’était certes pas très écologique, mais que la priorité était de lutter contre le changement climatique. Sous entendu, il faut garder le nucléaire qui dégage peu de co2. Peu importe les déchets radioactifs et les catastrophes atomiques…

La catastrophe nucléaire japonaise n’est donc qu’une bonne opportunité pour Nicolas Hulot qui s’est parfois laisser aller à donner conférence à l’invitation de la Société française de l’énergie nucléaire (SFEN), par exemple le 15 novembre 2001 à Bordeaux. Ayant diffusé aux spectateurs un tract contestant le caractère écologique du nucléaire et le soutien apporté de fait à cette thèse par l’animateur d’Ushuaia, j’avais eu la surprise de voir ce dernier, en furie, se précipiter vers moi et prétendre que sa présence aux côtés de la SFEN n’avait aucune signification.

Et puis il y a eu le « machin » appelé Grenelle de l’environnement, idée « lumineuse » de M. Hulot qui a déroulé à cette occasion le tapis vert pour M Sarkozy. Celui-ci s’est offert à bon compte une image d’écologiste : le Grenelle a servi de cache sexe à la continuation des pires pollutions, nucléaire, autoroutes, pesticides, incinérateurs, etc.

Nicolas Hulot et les autres écologistes officiels – ils ont été désignés par l’Elysée ! – n’ont même pas « monnayé » leurs participation au Grenelle, par exemple en exigeant l’arrêt de la construction du réacteur nucléaire EPR. Ils se sont précipités dans les salons dorés et devant les caméras pour en tirer des avantages personnels.

Certains sont aujourd’hui députés européens, d’autres viennent d’être récompensés par une nomination lucrative au Conseil économique et social. Et leur leader, Saint Nicolas, entend maintenant faire carrément main basse sur l’écologie politique !

Mais quel peut donc être l’intérêt pour les écologistes de se soumettre à la candidature Hulot ?
Première hypothèse, la mayonnaise ne prend pas : il ne suffit pas de caracoler en tête des sondages de notoriété pour être crédible en politique. Au final, les écolos se seront offerts pour rien à Hulot, le candidat des multinationales polluantes.

Seconde hypothèse, Hulot fait un bon score : 10%, 12%, voire 15%. Les élites vertes pensent pouvoir alors contraindre le PS à leur laisser, lors des élections législatives, une bonne cinquantaine de circonscriptions gagnables. C’est mal connaître le PS, lequel a toujours châtié ses vassaux, surtout lorsqu’ils se sont enhardis. Par contre, on peut envisager trois ou quatre ministres écologistes. La belle affaire : le PCF en a eu autant en 1981, et leur seul rôle a été de faire avaler des couleuvres à leurs camarades.

Dans tous les cas, à part récupérer quelques strapontins pour certains écolo-arrivistes, on ne voit pas bien ce que gagnerait Europe écologie à s’offrir à un animateur de télévision ami de multinationales pollueuses. Ce serait la déchéance finale et fatale de l’écologie politique.

Il est donc très clair que ma candidature est avant tout motivée par le souci de s’opposer à celle de Nicolas Hulot. On m’objectera qu’il n’est pas très constructif de se présenter « contre », plutôt que d’être force de proposition. Ce à quoi je réponds que, parfois, il faut savoir se lever pour dire « non », mais que cela n’empêche pas pour autant de la faire de façon positive et constructive.

Il reste à ce que ma candidature ne soit pas écartée par de subtils procédés bureaucratiques. Je ne suis certes pas membre d’Europe écologie, mais Nicolas Hulot non plus : s’il est autorisé à concourir, il n’y a aucune raison que je ne le sois pas.

Stéphane Lhomme
Président de l’Observatoire du nucléaire
http://www.observatoire-du-nucleaire.org

Sur le papier, cette démarche a une cohérence, à part qu’il y a peu de légitimité à apporter la bonne parole de l’extérieur d’EELV.

Surtout que Stéphane Lhomme est lié aux « décroissants », qui eux aussi espéraient lancer une candidature vraie/fausse, afin de faire passer leurs idées (http://www.objecteursdecroissance2012.fr, hors ligne, avec Paul Ariès en figure de proue), mais l’union n’a pas été réussie et le projet est tombé à l’eau.

La vérité est qu’EELV exerce une telle pression qu’à moins d’avoir des valeurs très fortes – comme la libération animale et la libération de la Terre – il est difficile d’avoir une marge de manoeuvre, même s’il est évident qu’EELV et Hulot n’ont rien d’écologiste finalement.

La tentative de Stéphane Lhomme, si elle contribue évidemment à montrer la nature d’EELV et de Hulot, ne saurait constituer une véritable perspective : celle-ci ne peut se développer qu’à la base, démocratiquement, avec des valeurs morales et culturelles hautement développées. C’est le sens à nos yeux d’assumer le véganisme et la libération de la Terre !

Contre-Grenelle, le 2 avril 2011

Le 2 avril aura lieu à Vaulx-en-Velin, au nord-est de Lyon, le « Contre-Grenelle. » Il s’agit d’une sorte de conférence organisée par les « décroissants. » On pourra trouver le programme sur le site de la conférence.

Pour expliquer de quoi ou qui il s’agit, expliquons tout de suite que le fait que la conférence ait un site internet est, en soi, un scandale pour les « décroissants. » Leur mot d’ordre – la « décroissance » – va de pair avec une remise en cause de la technologie.

La croissance c’est en effet à leurs yeux la crétinisation de masse, une société scientiste (et notamment nucléarisée), un mépris pour les pauvres, qui court à sa perte par l’épuisement des ressources comme le pétrole, etc.

Par conséquent, la décroissance est le seul horizon pour stopper la catastrophe en cours. Il faut une « société démocratique », une « société d’éducation », où le mot d’ordre c’est « moins c’est davantage. »

Le journal « La décroissance » pilonne ainsi non stop les « écotartuffes », c’est-à-dire des gens comme Nicolas Hulot et Yann Artus-Bertrand (avec un personnage fictif qui a même été inventé, comme mélange des deux : Nicolas Bertrand et sa fondation!). En clair, si vous vous dites écolos, mais que vous êtes liés au business de près ou de loin, « La décroissance » ne vous ratera pas !

Évidemment, le journal n’est jamais disponible en ligne : il faut l’acheter ! La décroissance se veut en effet un style de vie, et non pas seulement une critique. Parmi les auteurs de « La décroissance », on retrouve par exemple des gens comme Stéphane Lhomme, dont nous avions parlé car il s’était fait sortir du Réseau Sortir du Nucléaire dont il avait pourtant été un des chefs de file.

Dit comme cela, la décroissance, cela a l’air bien. En réalité, c’est très superficiel, malgré la volonté d’apparaître comme très radical. Par exemple, et c’est tout de même étrange pour des gens critiquant le « productivisme » et prônant la joie de vivre, « La décroissance » ne parle absolument jamais des animaux.

Que ces gens ne soient pas vegans alors qu’ils prétendent vouloir la joie de vivre, c’est à nos yeux totalement absurde. Mais même en étant loin des positions de la Terre d’abord !, on pourrait au moins penser qu’il y aurait une critique des élevages industriels… Eh bien même pas.

Les rares fois où il est parlé des animaux, c’est quand on parle de décroissants « élevant » des animaux pour leur consommation….

A côté de cela, même si « La décroissance » critique radicalement ceux qui détruisent l’environnement, il n’y a jamais de mise en avant de la nature. D’un côté, il y a une critique très forte des faux écolos mais vrais capitalistes. De l’autre cependant, l’utopie consiste en la décroissance pour elle-même.

Ce qui ne va pas sans fascination nostalgique pour un passé idéalisé (faisant que certaines tendances d’extrême-droite apprécient énormément), voire l’apologie des Etats-nations comme obstacle à une sorte de mondialisation dérangeant une vie censée être « simple. »

Pour le coup, c’est très simpliste, très tourné vers un passé censé avoir été bien, et cela ne va même pas aussi loin que le primitivisme, qui lui au moins considère la civilisation et la planète en général, et pas simplement la « croissance » comme phénomène récent (les 50 dernières années).

En gros, on a une critique des 50 dernières années mais même pas de l’explosion de l’exploitation animale, et même pas une critique générale de la destruction de la planète par l’être humain (aboutissant à une remise en cause de l’activité humaine – le primitivisme).

Cet oubli de la nature et des animaux rend « la décroissance » comme étant vraiment un phénomène français, oscillant entre écologie new school et finalement ce qui est un pétainisme light. « La décroissance » n’aime pas les fachos, mais les fachos les plus « branchés » adorent la décroissance : c’est bien qu’il y a une erreur quelque part.

D’ailleurs, la conférence du « contre-grenelle » s’appelle « Décroissance ou barbarie. » Il s’agit d’une allusion à la formule de Rosa Luxembourg, « Socialisme ou retombée dans la barbarie. » Mais posons ici la question : peut-on prétendre refuser la barbarie, quand on ne prend même pas les animaux en considération ?

La réponse est non, et citons ici ces très belles lignes de Rosa Luxembourg, qui à notre époque aurait bien compris l’importance de cet aspect :

Ah! ma petite Sonia, j’ai éprouvé ici une douleur aiguë.

Dans la cour où je me promène arrivent tous les jours des véhicules militaires bondés de sacs, de vielles vareuses de soldats et de chemises souvent tachées de sang…

On les décharge ici avant de les répartir dans les cellules où les prisonnières les raccommodent, puis on les recharge sur la voiture pour les livrer à l’armée.

Il y a quelques jours arriva un de ces véhicules tiré non par des chevaux, mais par des buffles.

C’était la première fois que je voyais ces animaux de près.

Leur carrure est plus puissante et plus large que celle de nos boeufs ; ils ont le crâne aplati et des cornes recourbées et basses ; ce qui fait ressembler leur tête toute noire avec deux grands yeux doux plutôt à celle des moutons de chez nous.

Il sont originaires de Roumanie et constituent un butin de guerre…

Les soldats qui conduisent l’attelage racontent qu’il a été très difficile de capturer ces animaux qui vivaient à l’état sauvage et plus difficile encore de les dresser à traîner des fardeaux.

Ces bêtes habituées à vivre en liberté, on les a terriblement maltraitées jusqu’à ce qu’elles comprennent qu’elles ont perdu la guerre : l’expression vae victis s’applique même à ces animaux… une centaine de ces bêtes se trouveraient en ce moment rien qu’à Breslau.

En plus des coups, eux qui étaient habitués aux grasses pâtures de Roumanie n’ ont pour nourriture que du fourrage de mauvaise qualité et en quantité tout à fait insuffisante.

On les fait travailler sans répit, on leur fait traîner toutes sortes de chariots et à ce régime ils ne font pas long feu.

Il y a quelques jours, donc, un de ces véhicules chargés de sacs entra dans la cour.

Le chargement était si lourd et il y avait tant de sacs empilés que les buffles n’arrivaient pas à franchir le seuil du porche.

Le soldat qui les accompagnait, un type brutal, se mit à les frapper si violemment du manche de son fouet que la gardienne de prison indignée lui demanda s’il n’avait pas pitié des bêtes.

Et nous autres, qui donc a pitié de nous? répondit-il, un sourire mauvais aux lèvres, sur quoi il se remit à taper de plus belle…

Enfin les bêtes donnèrent un coup de collier et réussirent à franchir l’obstacle, mais l’une d’elle saignait… Sonitchka, chez le buffle l’épaisseur du cuir est devenue proverbiale, et pourtant la peau avait éclaté. Pendant qu’on déchargeait la voiture, les bêtes restaient immobiles, totalement épuisées, et l’un des buffles, celui qui saignait, regardait droit devant lui avec, sur son visage sombre et ses yeux noirs et doux, un air d’enfant en pleurs.

C’était exactement l’expression d’un enfant qu’on vient de punir durement et qui ne sait pour quel motif et pourquoi, qui ne sait comment échapper à la souffrance et à cette force brutale…

J’étais devant lui, l’animal me regardait, les larmes coulaient de mes yeux, c’étaient ses larmes.

Il n’est pas possible, devant la douleur d’un frère chéri, d’être secouée de sanglots plus douloureux que je ne l’étais dans mon impuissance devant cette souffrance muette.

Qu’ils étaient loin les pâturages de Roumanie, ces pâturages verts, gras et libres, qu’ils étaient inaccessibles, perdus à jamais.

Comme là-bas tout – le soleil levant, les beaux cris des oiseaux ou l’appel mélodieux des pâtres – comme tout était différent.

Et ici cette ville étrangère, horrible, l’étable étouffante, le foin écoeurant et moisi mélangé de paille pourrie, ces hommes inconnus et terribles et les coups, le sang ruisselant de la plaie ouverte…

Oh mon pauvre buffle, mon pauvre frère bien-aimé, nous sommes là tous deux aussi impuissants, aussi hébétés l’un que l’autre, et notre peine, notre impuissance, notre nostalgie font de nous un seul être.

Pendant ce temps, les prisonniers s’affairaient autour du chariot, déchargeant de lourds ballots et les portant dans le bâtiment.

Quant au soldat, il enfonça les deux mains dans les poches de son pantalon, se mit à arpenter la cour à grandes enjambées, un sourire aux lèvres, en sifflotant une rengaine qui traîne les rues.

Et devant mes yeux je vis passer la guerre dans toute sa splendeur…