Décès de Tom Regan

Les années 1970 ont donné deux formes particulières de position en faveur des animaux : d’un côté, l’appel à la libération animale, avec une démarche révolutionnaire dont l’une des expressions les plus connues est l’ALF.

Ici, on est dans une perspective universaliste, avec d’ailleurs un élargissement de la question animale à la défense de la Nature en général.

De l’autre, une flopée de théoriciens du droit s’intégrant entièrement dans les institutions, à travers les universités américaines.

Tom Regan, dont on vient d’annoncer le décès, était l’un d’entre eux. Il fait partie, comme Gary Francione, du courant dit « abolitionniste », qui rejette à la fois les réformes du « bien-être animal » mais également l’option révolutionnaire et l’ALF en particulier.

C’est-à-dire que, contrairement aux formes militantes (dans un sens réformiste ou révolutionnaire), Tom Regan s’inscrit dans le courant moraliste – juridique, dont les universités sont le centre névralgique.

Tom Regan défend le véganisme, qu’il considère comme nécessaire. Mais il s’appuie pour cela non pas sur l’universalisme (comme nous le faisons sur LTD), mais sur le particularisme.

Autrement dit, il ne défend ainsi pas les animaux au sens large, mais en fait chaque animal, au sens où chaque être vivant a une « valeur inhérente » en tant qu’individu.

Obligé bien entendu de trouver la base d’une telle valeur, Tom Regan considère qu’il s’agit de la psychologie, puisqu’il s’agit d’un aspect « individuel » par excellence.

Ce qui aboutit au rejet de concept de Nature au profit d’une lecture individualiste, qui exclut de ce fait les végétaux, mais également toute une série d’animaux n’ayant pas un profil « individuel » compatible avec la définition…

Voici un passage de ce que dit Tom Regan concernant cet aspect :

« Nous n’avons aucune raison, et encore moins de raison scientifique, de croire que les carottes et les tomates, par exemple, apportent au monde une présence psychologique.

Comme toutes les autres plantes, les carottes et les tomates ne possèdent rien qui ressemble à un cerveau ou à un système nerveux central.

Parce qu’ils sont déficients sous ce rapport, il n’y a aucune raison de voir les plantes comme des êtres psychologiques, ayant la capacité de ressentir le plaisir et la douleur, par exemple.

C’est pour ces raisons que l’on peut rationnellement affirmer les droits des animaux et les nier dans le cas des plantes. (…)

Il n’est souvent pas facile de savoir où «tracer la limite».

Par exemple, nous ne pouvons dire exactement quel âge doit avoir une personne pour qu’elle soit vieille, ni quelle taille elle doit avoir pour être grande.

Néanmoins, nous pouvons dire avec certitude qu’une personne de quatre vingt huit ans est vieille, et que quelqu’un qui mesure deux mètres est grand.

De même, nous ne pouvons dire exactement où placer la limite quand il s’agit de dire quels animaux ont une psychologie.

Mais nous pouvons dire avec certitude absolue, où que l’on trace cette limite sur des bases scientifiques, que les primates et les rongeurs se trouvent d’un côté, celui des êtres psychologiques et que les limaces et les amibes se trouvent de l’autre, ce qui ne signifie pas que nous pouvons les détruire à la légère. »

Cette histoire de « limites » pour délimiter des individus à qui on doit par conséquent décerner un droit individuel ne saurait aller dans le bon sens.

La question de fond est celle de la vie elle-même, pas des individus. C’est une question d’approche générale de l’humanité dans son rapport à la Nature, pas simplement une question de choix de rapports précis avec certaines espèces en particulier.

En niant la question universelle, Tom Regan a participé au développement de tout un courant intellectualiste grand-bourgeois, universitaire (ou aussi journalistique comme avec Aymeric Caron), protestataire médiatique d’une certaine manière aussi.

Un courant qui rejette totalement la critique des institutions, pour s’inscrire en elles, sous prétexte qu’elles seraient démocratiques, alors que c’est tout de même le b-a-ba de toute personne comprenant ce qu’est le capitalisme que de voir que non…

D’où le soutien par les institutions de cette critique à la fois institutionnelle et purement juridique, avec la morale comme prétexte à la marche dans les institutions (pour mieux se faire intégrer).

Voici par exemple, le parcours institutionnel de Tom Regan, à quoi il faudrait ajouter une centaine de conférences universitaires à travers le monde.

Expérience professionnelle

1965-1967. Instructeur, puis maître assistant en philosophie, Sweet Briar College
1967-1972. Maître assistant en philosophie, université d’Etat de Caroline du Nord
1972-1978. Maître de conférences en philosophie, université d’Etat de Caroline du Nord
1978-2001. Professeur de philosophie, université d’Etat de Caroline du Nord
1995-1996. Directeur par interim du département Philosophie & Religion, université d’Etat de Caroline du Nord
1996-1999. Directeur du département Philosophie & Religion, université d’Etat de Caroline du Nord
2000-2013. Professeur émérite, université d’Etat de Caroline du Nord
Postes de professeur associé

Assistant, Oxford University, été 1973, en collaboration avec l’université d’Etat de Caroline du Nord – Asheville.
Chercheur et professeur invité, université de Calgary, été 1977.
Professeur invité de Philosophie, Brooklyn College, automne 1982.
Professeur invité, Center for the Study of Theology, université d’Essex (Angleterre), été 1988.
Professeur distingué McAndless, université de l’Eastern Michigan, automne 1996.
Distinguished Visiting Scholar, université de Massey (Nouvelle Zélande), automne 1997.

Tom Regan est quelqu’un qui accepte totalement le système américain auquel il participe. Il se veut quelqu’un opposé au racisme, au sexisme, appelant à la solidarité sociale, mais il ne rompt nullement avec l’individualisme.

Il est donc parfaitement acceptable, puisqu’il nie l’universalisme…

Il est donc possible, par exemple pour la Fondation Brigitte Bardot, de le mettre en avant.

Le passage comme quoi l’analyse de Tom Regan est « la plus impressionnante et approfondie jamais produite » ne tient pas debout une seconde : sa prose est illisible, avec un verbiage juridique typiquement insupportable.

Il a par ailleurs été publié pour la première fois en France en 2013 et on voit mal les gens de la Fondation Brigitte Bardot le lire, d’autant plus qu’elle ne se veut pas végan (même si elle a put faire des t-shirts prétendant le contraire, pour le prestige).

C’est là l’avantage des « intellectuels »: on peut toujours les récupérer puisque leur discours juridique et universitaire n’amène à aucun positionnement. Ils sont utilisables à tort et à travers, ne faisant qu’apporter à la confusion et à la négation de l’universalisme.

« Les Droits des animaux », de Tom Regan

Nous sommes pour un véganisme populaire, parce qu’il s’agit d’une cause simple à comprendre. Nous sommes donc pour une prise de conscience, une perspective scientifique, mais surtout pas pour l’établissement d’un débat sans fin sur le « droit » qui ne sert qu’une minorité d’intellectuels philosophes ou juristes payés par l’État et les entreprises au sein des universités.

Le véganisme est facile à comprendre et est une idée fondamentalement démocratique. Ainsi, la publication en français de l’ouvrage « Les droits des animaux » de Tom Regan fait partie de ce genre de choses qui ne serviront à rien. Cela peut être intéressant, mais c’est anecdotique par rapport à la réalité de la question du véganisme en France, voire même en Amérique d’ailleurs.

Car 750 pages à 35 euros, pour un verbiage incompréhensible intule à moins d’être un bourgeois faisant confiance à la « justice », le tout publié par une maison d’édition intellectuelle ultra-élitiste, cela n’est pas utile.

Et comme exemple résumant cette approche du véganisme qui est exactement ce qu’il ne faut pas faire, voici l’article, publié évidemment dans Le Monde. Cet article est naturellement plus que favorable, et écrit bien entendu par Florence Burgat, philosophe… payée par l’Institut national de la recherche agronomique, lui-même subventionné par les le Ministères de l’Agriculture et de la Recherche.

Pour dire quoi? Que le véganisme aurait été « inventé » par Singer ou Regan, tout cela pour nier la réalité populaire, des décennies de batailles pour la libération animale, qui ont porté le projet végan…

L’animal rendu à son mystère. « Les Droits des animaux », de Tom Regan

Florence Burgat (philosophe)

La philosophie morale américaine n’a pas bonne presse en France lorsqu’elle s’applique aux animaux. Elle est caricaturée à l’envi, grossièrement simplifiée quand elle n’est pas vilipendée, tout cela par des philosophes eux-mêmes. N’y parle-t-on pas de « libérer les animaux », de leur donner des « droits » – et puis quoi encore ? Il est vrai que sa très grande technicité et son aridité rendent sa lecture exigeante.

Mais tout chercheur impliqué dans la « question animale » sait qu’un livre compte parmi les plus importants : The Case for Animal Rights (« Plaidoyer pour les droits de l’animal »), de Tom Regan, paru en 1983, puis en 2004 assorti d’une longue préface.

Nul n’avait osé se lancer dans l’immense entreprise que constitue la traduction de l’ouvrage fondateur de la théorie des droits des animaux, antagoniste à bien des égards de celle, utilitariste, de l’Australien Peter Singer (La Libération animale, Grasset, 1993).

Il fallait que ce fût un excellent connaisseur de ce champ, par ailleurs animé d’une détermination au long cours qui s’en chargeât : Les Droits des animaux est une analyse serrée qui s’étend sur 750 pages.

En traduisant cet opus magnum, Enrique Utria fournit au débat français une contribution inestimable à plusieurs titres. Non seulement il ne sera plus possible, sauf à se couvrir de ridicule, de caricaturer cette pensée si patiente dans ses démonstrations, mais encore, en donnant accès à la théorie à ce jour la plus élaborée des droits des animaux, Enrique Utria permet à la réflexion sur la condition animale d’aller beaucoup plus loin.

Elle devra en effet affronter cette thèse et prendre position par rapport à elle, tandis que les détracteurs des droits des animaux devront la contrer pied à pied – ce qui ne sera pas une mince affaire.

Venons-en à quelques lignes de force de l’ouvrage. Dans la préface à l’édition de 2004, Regan souligne que son livre « fait plus qu’argumenter pour les droits des animaux. (Il) cherche à décrire et fonder une famille de droits fondamentaux de l’homme, en particulier pour les membres les plus vulnérables de la grande famille humaine, par exemple les jeunes enfants. »

C’est pour avoir été d’abord défenseur des droits de l’homme que Regan s’est fait défenseur de ceux des animaux ; c’est à partir d’un sol commun aux uns et aux autres que ces droits sont mis au jour.

« ÉCUREUILS ET CHIMPANZÉS, VOUS ET MOI »

Ceci est un premier point. Un deuxième tient dans l’originalité de la thèse elle-même, au regard notamment de l' »utilitarisme classique », dont le fondateur est Jeremy Bentham (1748-1832), qui place le critère à la fois nécessaire et suffisant de la considération morale du côté de la capacité à souffrir. Pour cette théorie, seuls comptent les plaisirs et les douleurs, mais de manière en quelque sorte abstraite, puisque les sujets qui les ressentent n’en sont que les porteurs interchangeables, substituables les uns aux autres.

Ce qui compte, dans cette approche, c’est de maximiser le bien-être dans le monde. Or, Tom Regan, en introduisant la notion de « sujet-d’une-vie », met l’accent sur l’individu lui-même, ce sujet de l’expérience en première personne, homme ou animal, qui jamais ne peut être interchangeable.

Les animaux « portent au monde le mystère d’une présence psychologique unifiée. Comme nous, ils possèdent différentes capacités sensorielles, cognitives, conatives et volitives. Ils voient et entendent, croient et désirent, se rappellent et anticipent, dressent des plans et ont des intentions. De plus ce qui leur arrive leur importe (…). Pris collectivement, ces états psychologiques et ces dispositions, et bien d’autres encore, nous aident à définir la vie mentale et le bien-être corrélatif de ces sujets-d’une-vie (selon ma terminologie) que nous connaissons mieux sous le nom de ratons laveurs et lapins, castors et bisons, écureuils et chimpanzés, vous et moi ».

Tel est le socle sur lequel les droits des animaux sont fondés. L’analyse de la conscience animale est particulièrement fouillée. Troisièmement, c’en est donc fini des calculs utilitaristes où se trouve justifié le sacrifice de quelques-uns au profit du plus grand nombre.

Comme l’indique Enrique Utria, Regan « radicalise la défense des animaux en ne la faisant plus dépendre de l’utilité générale, mais en l’étayant d’une analyse de leurs droits moraux fondamentaux, prévalant sur toute exploitation utilitaire ».

Cette radicalité le conduit à repousser les solutions visant à aménager les cages, à amoindrir, si l’expérimentateur en est d’accord, les douleurs des animaux « de laboratoire » ou encore à simplement « réformer » l’abattage de 58 milliards de mammifères et d’oiseaux par an dans le monde pour la seule boucherie. Pourquoi l’humanité tient-elle tant à ce carnage ? Voilà la question en retour que le lecteur pourrait se poser.

Les Droits des animaux (The Case for Animal Rights), de Tom Regan, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Enrique Utria, Hermann, « L’avocat du diable », 750 p., 35 €.