Wangari Muta Maathai

Wangari Muta Maathai, qui était une activiste écologiste du Kenya, est décédée il y a deux jours. Elle est relativement connue médiatiquement depuis son prix nobel de la paix en 2004; ces dernières années, elle était une des deux figures de la campagne « Pour un milliard d’arbres » du Programme des Nations Unies pour l’Environnement.

Elle était également à la tête du mouvement « Green Belt » (la ceinture verte), mouvement pour la reforestation. Toute la perspective de Wangari Muta Maathai est écologiste mais liée au développement économique. Elle-même a étudié aux Etats-Unis et en Allemagne, et a un diplôme de vétérinaire. Femme extrêmement éduquée dans une société patriarcale, elle a été une figure pour les droits des femmes au Kenya.

Wangari Muta Maathai est donc surtout une démocrate dans un endroit du monde où la démocratie est un vain mot, et ses actions, aussi bonnes soient-elles, ne peuvent pas aller loin et sont largement saluées par tous les gouvernements du monde, quels qu’ils soient (pour la France, elle a été faite chevalier de l’Ordre national de la Légion d’honneur en 2006).

Le mouvement « Green Belt » a permis de planter 30 millions d’arbres, mais combien sont tombés sous les coups des machines? Voici justement un extrait d’une interview qu’elle a accordé à la revue Le Point, où on voit bien qu’en accusant tout le monde, elle n’accuse finalement personne.

Mais qui est responsable de la détérioration de l’environnement ? Les Etats riches ?

Tout le monde est coupable. Il n’y a qu’à voir le film « Nous resterons sur Terre » pour se rendre compte que les activités des hommes, qu’ils soient dans des pays riches ou dans des nations moins développées, contribuent à dégrader l’environnement de manière dramatique. Chaque individu, où qu’il vive sur la planète, est responsable d’elle. Chacun de ses habitants contribue à détruire l’environnement. Et chacun peut donc décider d’agir pour la préserver.

Le film dresse un tableau sans équivoque : il n’y a qu’à voir comment on se comporte, comment on se nourrit, comment on produit, comment on consomme les ressources de la planète. C’est la course à la démesure. C’est aux gens de décider s’ils veulent soutenir un tel rythme. Mais en en assumant les conséquences ! En étant honnête, on voit très clairement qu’une telle pollution et un tel gaspillage des ressources sont insupportables. Nos ressources sont limitées. Il n’y a pas d’alternative. Seul le développement durable peut nous sortir de cette impasse. Ce choix doit être fait par les individus, par les entreprises et par les gouvernements. Tout le monde a un rôle à jouer.

Mais que doit-on faire concrètement ?

Il faut tout d’abord s’éduquer pour être persuadé qu’en effet la planète est menacée. Nombreux sont ceux qui pensent encore qu’il y a assez de ressources dans le monde, qu’il n’y a pas de raison de s’inquiéter. Voilà pourquoi des films comme celui-ci sont extrêmement importants. Beaucoup de gens travaillent dans le monde entier pour tenter de faire passer le message, mais je suis étonnée de voir avec quelle lenteur il se diffuse !

La deuxième chose à faire, c’est de faire des choix. Vous pouvez décider de ne pas manger d’aliments venus de l’autre bout du monde et de soutenir les productions locales : ce choix-là, toutes les maîtresses de maison peuvent le faire. Les enfants peuvent aussi agir : quand ils se brossent les dents, ils peuvent économiser l’eau. Quand ils sont à l’école, ils peuvent écrire des deux côtés de la feuille. Chacun peut décider, quelle que soit sa place dans la société, de ne pas gaspiller. Les Japonais ont un très beau concept inscrit dans leurs traditions, le Mottainai. Son principe repose sur trois « R » : réduire, réutiliser, recycler. Il faut être reconnaissant de ce que l’on a, respecter et ne pas gâcher les ressources. Certains investissent dans l’énergie solaire ou dans l’éolienne ; d’autres, comme je l’ai constaté à Paris, préfèrent les vélos à leur voiture… Chacun doit comprendre qu’il n’y a pas de geste inutile. La planète a besoin de nous. Et c’est surtout nous qui avons besoin de la planète.

Les plus démunis ont-ils aussi les moyens d’agir ?

Les populations les plus pauvres sont souvent responsables de la déforestation, car elles sont très dépendantes du bois. Elles détruisent les forêts, les terres agricoles et la biodiversité. Elles génèrent de l’érosion. Bien sûr, il s’agit pour elles de survie. Mais elles détruisent tout de même l’environnement. Elles doivent pourtant comprendre qu’elles sont toujours très dépendantes des matières premières, de leurs terrains pour l’agriculture, des forêts pour le bois de chauffe, des rivières pour l’irrigation de leurs cultures…

Et que si elles n’y prennent garde, elles en subiront directement les conséquences. C’est pour cela que j’ai lancé des campagnes comme celle du « milliard d’arbres », pour que ces populations réalisent qu’elles peuvent participer, même en faisant un tout petit quelque chose. Les Africains sont aux avant-postes de la protection de la planète, et ils ne doivent pas attendre que les gouvernements ou les agences d’aide internationale interviennent. Planter un arbre ne nécessite ni argent ni technologie avancée. Certaines actions essentielles et durables peuvent être menées sans grands moyens.

Parlez-nous de la campagne du « milliard d’arbres ».

Le Programme des Nations unies pour l’environnement, la Ceinture verte et le Centre international pour la recherche en agroforesterie ont lancé cette campagne en octobre 2006, pour lutter contre le changement climatique en encourageant les individus, les communautés, les organisations et les gouvernements à s’engager à planter des arbres. Nous avons déjà contribué à faire pousser 2 milliards d’arbres, et nous espérons atteindre les 7 milliards avant le sommet de Copenhague, en décembre prochain. C’est un geste tout simple, mais qui montre que chaque citoyen du monde a un rôle à jouer.

Votre combat n’est-il pas perdu d’avance ?

Certains disent que c’est déjà trop tard. J’ai lu un article de James Lovelock [l’un des intervenants du film, NDLR], le père de la « théorie Gaïa » [« la terre doit être considérée comme un organisme vivant »], qui dit que l’on perd notre temps en plantant des arbres. Mais je suis de nature optimiste : je pense que nous sommes encore là et que nous pouvons agir pour changer le cours des choses. Ne serait-ce que pour nos enfants. Il n’y a pas de temps à perdre.

Vous avez reçu en 2004 le prix Nobel de la paix pour votre action écologique au sein du mouvement Ceinture verte. Quel lien y a-t-il entre la paix et l’environnement ?

Ceux qui m’ont remis le prix ont compris qu’en protégeant l’environnement et en promouvant le développement durable et les droits de l’homme, il s’agit de paix. Si on n’a pas de gestion durable des ressources, celles-ci ne seront plus en quantité suffisante pour tous. Cette répartition inégale des matières premières engendre une compétition, et donc des conflits. Si on pouvait gérer les ressources de manière plus durable, on serait plus à même d’anticiper les sources de conflits. C’est là que la gouvernance de l’environnement rencontre la paix.