Hier, nous avons critiqué la prise de position d’une personne de la ZAD résumant le point de vue hégémonique dans la lutte contre le projet d’aéroport. Bien sûr, il y a d’autres points de vue, et même le point de vue hégémonique est très contradictoire, puisqu’il est à la fois un appel à un esprit collectif et de l’autre une revendication individualiste très poussée.
Le problème est qu’à un moment, il faut pousser dans un sens ou dans un autre. Soit on dit qu’on va à une décentralisation totale, et alors comme le disait l’appel de la personne de la ZAD, l’objectif est que chacun soit en mesure de produire « sa » « viande », « son » lait, etc. C’est un retour à l’artisanat du petit producteur du moyen-âge disposant de son lopin de terre.
Soit, au contraire, on dit qu’on part d’en haut, qu’on centralise toutes les questions de la production et on répartit en fonction. C’est non seulement le moyen de manger des bananes en France, car vu le climat elles ne pousseraient pas dans une ferme locale, mais aussi le seul moyen que triomphe le véganisme au niveau mondial.
On peut arguer que cela signifie que les gens n’auront plus un « lien » avec « la terre. » Mais là est justement la grande critique que nous faisons à l’option des « petits producteurs. » Nous ne sommes pas du tout dans cette perspective, nous voulons embrasser la Nature, pas « la terre » en tant que lieu de production.
Nous parlions récemment des néo-nazis français qui mettent justement en avant ce rapport « enraciné » avec la terre en voulant en revenir aux Gaulois, qui relève du grand n’importe quoi. Mais il faut voir les choses en face, si l’on prend le discours du maréchal Pétain du 25 juin 1940, on retrouve pratiquement des aspects ouvertement assumés dans l’appel pour la ZAD publié hier.
Voici donc ce que dit Pétain, nous mettons en gras la partie directement concernée.
« Vous avez souffert.
Vous souffrirez encore. Beaucoup d’entre vous ne retrouveront pas leur métier ou leur maison. Votre vie sera dure. Ce n’est pas moi qui vous bernerai par des paroles trompeuses. Je hais les mensonges qui vous ont fait tant de mal.
La terre, elle, ne ment pas. Elle demeure votre recours. Elle est la patrie elle-même. Un champ qui tombe en friche, c’est Une portion de France qui meurt. Une jachère de nouveau emblavée, c’est une portion de France qui renaît.
N’espérez pas trop de l’État qui ne peut donner que ce qu’il reçoit. Comptez pour le présent sur vous-mêmes et, pour l’avenir, -sur les enfants que vous aurez élevés dans le sentiment du devoir.
Nous avons à restaurer la France. Montrez-la au monde qui l’observe, à l’adversaire qui l’occupe, dans tout son calme, tout son labeur et toute sa dignité. Notre défaite est venue de nos relâchements. L’esprit de jouissance détruit ce que l’esprit de sacrifice a édifié. C’est à un redressement intellectuel et moral que, d’abord, je vous convie. Français, vous l’accomplirez et vous verrez, je le jure, une France neuve surgir de votre ferveur. »
Ce qui est très inquiétant ici, c’est qu’on a la même conception du caractère « authentique » de la terre, c’est qu’on a la même affirmation de la méfiance par rapport à la société et une affirmation de l’auto-suffisance, c’est qu’on a la négation de la Nature au profit de l’agriculture « maîtrisée » gage de « renouveau. »
Il faut être aveugle pour ne pas voir que les organisations d’extrême-droite tentent justement de récupérer la lutte de la ZAD dans la critique du « monde moderne » contre laquelle il faudrait se « révolter. »
Cela ne veut pas dire du tout que la lutte de la ZAD va se transformer en fascisme. Mais qu’il faut être aveugle pour ne pas voir qu’il y a ici un tournant. Soit il y a un saut dans la critique de la société, mais alors il faut reconnaître que la France agricole est déjà industrialisée et qu’il faut combattre l’exploitation animale.
Soit il y a le développement d’un courant nostalgique de la paysannerie des petits producteurs, proche de la terre et donc authentique, et autres fumisteries pétainisto-régionalistes produites par l’extrême-droite tout au long du 19ème siècle.
Le véganisme ne peut exister qu’avec la modernité, reste à savoir de quelle modernité on veut, bien sûr, c’est là qu’il faut creuser. Mais tout retour en arrière se fera forcément aux dépens des animaux, et est donc inacceptable.