Maupassant sur les chats

Voici un extrait d’une nouvelle intitulée « Sur les chats », de Maupassant. Ce dernier reprend le thème du chat mystérieux, allégorie de la femme hautaine et majestueuse, qui a été développé par Baudelaire.

Dans la nouvelle, il joue sur la dimension « érotique » de la comparaison du chat et de la femme, tous deux gracieux et inaccessibles. C’est bien écrit, peut-être assez réussi, mais d’une certaine manière tout de même assez douteux.

« Rien n’est plus doux, rien ne donne à la peau une sensation plus délicate, plus raffinée, plus rare que la robe tiède et vibrante d’un chat (…).

Je rêvai de nouveau.

Cette fois je voyageais encore, mais en Orient, dans le pays que j’aime. Et j’arrivais chez un Turc qui demeurait en plein désert. C’était un Turc superbe ; pas un Arabe, un Turc, gros, aimable, charmant, habillé en Turc, avec un turban et tout un magasin de soieries sur le dos, un vrai Turc du Théâtre-Français qui me faisait des compliments en m’offrant des confitures, sur un divan délicieux.

Puis un petit nègre me conduisait à ma chambre—tous mes rêves finissaient donc ainsi—une chambre bleu ciel, parfumée, avec des peaux de bêtes par terre, et, devant le feu—l’idée de feu me poursuivait jusqu’au désert—sur une chaise basse, une femme, à peine vêtue, qui m’attendait.

Elle avait le type oriental le plus pur, des étoiles sur les joues, le front et le menton, des yeux immenses, un corps admirable, un peu brun, mais d’un brun chaud et capiteux.

Elle me regardait et je pensais : «Voilà comment je comprends l’hospitalité. Ce n’est pas dans nos stupides pays du Nord ; nos pays de bégueulerie inepte, de pudeur odieuse, de morale imbécile qu’on recevrait un étranger de cette façon.»

Je m’approchai d’elle et je lui parlai, mais elle me répondit par signes, ne sachant pas un mot de ma langue que mon Turc, son maître, savait si bien.

D’autant plus heureux qu’elle serait silencieuse, je la pris par la main et je la conduisis vers ma couche où je m’étendis à ses côtés… Mais on se réveille toujours en ces moments-là ! Donc je me réveillai et je ne fus pas trop surpris de sentir sous ma main quelque chose de chaud et de doux que je caressais amoureusement.

Puis, ma pensée s’éclairant, je reconnus que c’était un chat, un gros chat roulé contre ma joue et qui dormait avec confiance.

Je l’y laissai, et je fis comme lui, encore une fois.

Quand le jour parut, il était parti ; et je crus vraiment que j’avais rêvé ; car je ne comprenais pas comment il aurait pu entrer chez moi, et en sortir, la porte étant fermée à clef.

Quand je contai mon aventure (pas en entier) à mon aimable hôte, il se mit à rire, et me dit : «Il est venu par la chattière», et soulevant un rideau il me montra, dans le mur, un petit trou noir et rond.

Et j’appris que presque toutes les vieilles demeures de ce pays ont ainsi de longs couloirs étroits à travers les murs, qui vont de la cave au grenier, de la chambre de la servante à la chambre du seigneur, et qui font du chat le roi et le maître de céans.

Il circule comme il lui plaît, visite son domaine à son gré, peut se coucher dans tous les lits, tout voir et tout entendre, connaître tous les secrets, toutes les habitudes ou toutes les hontes de la maison. Il est chez lui partout, pouvant entrer partout, l’animal qui passe sans bruit, le silencieux rôdeur, le promeneur nocturne des murs creux.

Et je pensai à ces autres vers de Baudelaire :

C’est l’esprit familier du lieu ;

Il juge, il préside, il inspire

Toutes choses dans son empire ;

Peut-être est-il fée,—est-il Dieu ? »