Les séries Breaking bad, The Wire et Weeds

La célébration et la fascination pour les trafiquants de drogues sont une constante des séries. Parfois, il  y a une pseudo dimension critique, parfois même pas, dans tous les cas de toutes manières il y a une obsession tout à fait représentative du pessimisme morbide, de l’intérêt malsain pour les criminels, le monde brutal de la « débrouille » criminelle, etc.

Voici un extrait de l’ouvrage d’Emmanuel Burdeau  « Breaking bad. Série blanche », tiré d’un passage plus long mis en ligne par Contretemps.

On peut lire ici une comparaison de l’approche de Breaking Bad, The Wire et Weeds. Dans la première série, on suit le parcours d’un homme ayant le cancer et qui se lance dans une grande campagne de vente de la terrible métamphétamine, avec en arrière-plan le capitalisme sauvage se diffusant.

The Wire prétend avoir un regard critique, mais consiste davantage en une sorte de reportage-fiction sur la réalité des drogues et de leur rapport à la misère et à la corruption. Weeds aborde la question du trafic de cannabis et de sa légalisation.

Dans tous les cas, qu’il y ait une idéologie ultra-libérale derrière (Breaking bad), sociologique de gauche (The Wire), libéral-social (Weeds), il y a une fascination et une focalisation sordide sur les bas-fonds, l’incapacité de proposer des modèles positifs.

Au final, ces séries accompagnent – en acceptant ou en critiquant – l’évolution toujours plus brutale du capitalisme et le renforcement des trafics de drogues.

Shérif solitaire, Hank opère depuis sa voiture puis, quand il est handicapé par une blessure, depuis son lit. Ce portrait du policier sans cesse mêlé à des conflits où il ne représente pas les intérêts supérieurs de l’État, mais uniquement les siens propres, contraste avec l’image de la police dans une autre série, The Wire, où les forces de l’ordre sont d’abord envisagées comme institution et où la dimension sociale de la criminalité est systématiquement évoquée.

Rien de cela dans Breaking Bad, où il n’y a que des histoires individuelles et particulières.

On retrouve le même écart entre Breaking Bad et The Wire sur la question du capitalisme : quand, dans la première saison de The Wire, le dealer Stringer Bell assiste à des conférences sur la gestion d’entreprise, puis cherche à les appliquer à la distribution de drogue, ce développement est présenté comme la dernière extrémité d’une société devenue proprement monstrueuse.

Dans Breaking Bad, au contraire, il s’agit d’un constat qui sert de fondation à toute la narration, sans que les conséquences sociales de cette analyse soient jamais véritablement prises en compte.

Si The Wire est une fiction de sociologue, Breaking Bad est plutôt un récit d’économiste où les personnages ne réagissent qu’aux stimuli économiques.

Politiquement, les deux séries se situent également aux antipodes l’une de l’autre : entremêlant en cinq longues saisons les points de vue de tous les grands corps sociaux – police, professeurs, juges, journalistes –, The Wire tente de trouver des solutions politiques aux problèmes sociaux, et pourrait être qualifiée de démocrate, au sens américain du terme.

Breaking Bad est l’exact inverse : les solutions qu’elle propose, pour radicales qu’elles soient, sont d’abord individuelles avant, éventuellement, d’être collectives.

Le discours des personnages, qui font de l’égoïsme une vertu morale et de l’initiative économique l’alpha et l’oméga de la vie publique, est peu ou prou aligné sur celui de la droite américaine.

La seule entité sociale qui a droit de cité dans Breaking Bad est la famille : les liens du sang sont les seuls qui comptent. Tout est envisagé à cet aune : l’action de Walter White est d’abord guidée par un souci patrimonial.

Son but : dégager suffisament de profit pour permettre à sa femme et ses deux enfant de vivre sans lui. La charge menée par Breaking Bad est d’autant plus virulente qu’elle émane d’un ancien fonctionnaire, autrement dit quelqu’un qui a cru à l’utilité de l’action collective et à la pertinence de la transmission intergénérationnelle et qui, brusquement, change de point de vue pour se convertir aux bienfaits du capitalisme le plus sauvage (le gauchiste repenti est un fantasme récurrent dans la fiction de droite comme l’est, dans les récits de gauche, le conservateur libéré).

Entre ces deux extrêmes politiques que sont Breaking Bad et The Wire, le centre de l’échiquier polico-fictionnel est occupé par une troisième série, elle aussi consacrée au commerce de la drogue.

Il s’agit de Weeds, où une femme au foyer devenue veuve, Nancy Botwin, devient dealeuse d’herbe par nécessité économique. Partant d’une situation en tout point similaire à celle de Breaking Bad, à savoir un personnage issu de la petite bourgeoisie tentant d’échapper à la paupérisation en vendant de la drogue, Weeds présente un constat plus nuancé sur l’économie américaine.

D’abord parce que le produit vendu n’est pas le même : Nancy Botwin ne vend que du cannabis, dont Weeds présente systématiquement les effets comme plaisants, quand Walter White fabrique et distribue de la métamphétamine, dont la puissance d’addiction ne peut être comparée avec l’herbe.

En outre, Weeds ne développe un véritable discours que sur un seul sujet : la dépénalisation des drogues récréatives. Le commerce de cannabis y est présenté comme une activité susceptible d’enrichir la société.

Contrairement à Breaking BadWeeds ne veut pas réformer le capitalisme : simplement en élargir le périmètre en autorisant un commerce inoffensif. Weeds croit en l’État : son discours est d’abord un propos sur le droit et la loi. Tous les personnages adultes y sont présentés comme des adolescents irresponsables incapables de se gouverner eux-mêmes : l’action publique est systématiquement envisagée comme bénéfique.