Manifestation à Notre-Dame-des-Landes: fin du début ou début de la fin?

La manifestation d’hier, le 17 novembre 2012, en soutien à la résistance à la construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, a été un succès. Cependant et justement, le problème de savoir pour qui se pose de plus en plus clairement.

Voici déjà le petit communiqué d’après-manif de la part des gens participant à la résistance là-bas:

« Contre l’aéroport et son monde, seule la lutte décolle »

Aujourd’hui, environ 40 000 personnes, de tous âges et de tous horizons, ont affirmé radicalement leur opposition au projet d’aéroport.

La taille du cortège était telle que lorsque les premiers sont arrivés sur le lieu de la reconstruction, après 5 km de joyeux défilé, de nombreuses personnes attendaient encore de pouvoir partir du bourg de Notre-Dame-des-Landes !

Ce sont aussi 400 tracteurs, des batucadas et orchestres, des armées de clowns, des centaines de drapeaux arborant un avion barré, et 1001 slogans et pancartes qui ont traversé le bocage.

Tout l’après-midi, toutes et tous se sont activé-e-s autour de la construction d’une salle collective, d’une cuisine, de blocs sanitaires et de plusieurs autres installations à l’heure actuelle bien avancées.

A proximité des chantiers, le champ d’accueil est entré en effervescence : montage des chapiteaux, des cuisines, de mobilier, prises de parole de luttes d’ici et d’ailleurs, échanges, etc.

Cette très large mobilisation témoigne une fois encore de l’échec des tentatives de division et renforce la détermination de toutes et tous à lutter contre la construction de cet aéroport et contre tous les projets qui s’inscrivent dans la même logique.

La force collective qui se dégage de ce moment confirme que la lutte ne s’arrêtera pas là. Dès demain et dans les semaines à venir, les constructions et discussions vont se poursuivre. Tout sera fait pour entraver l’avancée des travaux.

La réoccupation de la ZAD a commencé ! L’aéroport ne se fera pas !

C’est une vision où le projet a littéralement disparu. La seule ligne est de défendre les tracteurs; le mouvement avait jusque-là porté une critique implicite de la société quant à l’écologie, il n’y a désormais plus rien de cela.

D’ailleurs, dans cette manifestation on trouvait des gens comme Jean-Luc Mélenchon ou Olivier Besancenot, qui n’ont jamais assumé de positions écologistes ouvertes et radicales. Pire, il y avait une importante délégation de parlementaires Europe Ecologie Les Verts (EELV), qui se rachètent à peu de frais une conduite en participant.

EELV est au gouvernement et prétend combattre une répression gérée par le gouvernement, c’est d’une hypocrisie sans nom. Les gens luttant à Notre-Dame-des-Landes le savent, évidemment. Et voici comment cette question est abordée, avec le texte de la prise de parole à la fin de la manifestation:

Ami-e-s d’ici, ami-e-s d’ailleurs,

Nous, expulsé-e-s ou expulsables, habitant-e-s qui résistent au projet d’aéroport et à son monde, , nous tenons à vous remercier.

Merci d’être venu-e-s, de Vigneux ou de Turin, de Rennes ou de Bruxelles, pour participer à cette lutte, pour reconstruire aujourd’hui ensemble les bases matérielles nécessaires à la poursuite de la résistance sur le terrain.

Merci de vous être réappropriés ce combat, en organisant des rassemblements, des collages, des moments de rencontres sur les marchés de vos villes et de vos villages, en créant des comités locaux…

Vous avez su exprimer notre colère contre les aménageurs par un foisonnement de gestes solidaires : du péage gratuit au défilé de tracteur, du sabotage au concert de soutien, de la prise d’antenne sauvage aux messages qui nous parviennent depuis plusieurs semaines maintenant !

Vous avez participé à cet immense élan de solidarité ,solidarité mot qui aujourd’hui prend tout son sens et qui s’est répandu comme une traînée de poudre bien au-de-là du bocage.

C’est vous, anonymes, animés par d’inébranlables convictions qui faites la lutte. Vous qui ne cherchez ni la gloire superflue sous le crépitement des flashs et des caméras, ni les privilèges et le confort d’un siège de député ou de ministre. Vous qui êtes là parmi nous, humblement, et qui avez décidé d’agir plutôt que de subir. La parole des politiques ne doit pas étouffer celle des habitants pour s’y substituer. Cette lutte c’est la notre, c’est la votre, parce que c’est avec vous que nous obtiendrons l’arrêt immédiat du projet et que nos pourrons faire plier les décideurs, ici comme ailleurs.

Nous avons toujours dit, « un territoire se défend avec celles et ceux qui l’habitent ». Et ces dernières semaines ont prouvé que les habitant-e-s de la zone se défendent ! Une armada policière débarque et le balais infernal des machines emporte dans sa danse macabre, maisons et cabanes, vieux chênes et salamandres…

La tristesse et la colère nous gagnent face à Vinci et à l’État socialiste écologiste qui défigurent sous nos yeux ce paysage si familier. Ils ravagent la nature et cherchent à effacer nos souvenirs. Qu’ils nous jettent à la rue à coups de matraque ou nous poussent au déménagement par les pressions, c’est toujours la même violence et le même arbitraire qui nous écrasent. Il est légitime que l’on retourne cette violence contre ceux qui nous l’infligent.

Face à l’État, tous nos gestes de résistances peuvent paraître dérisoires, mais ils sont o combien justes et nécessaires. Rassemblements, manifs, défense des lieux vie, ouverture collective de maisons, occupation forestière, ravitaillement, blocage de routes, reconstruction, assemblées… Nous avons voulu montrer que nous ne sommes pas de simples meubles qu’on déménage, que nous pouvons nous organiser, résister, dire non !

Ces semaines ne sont qu’un début ! La lutte ne fait que commencer : défense du Rosier, réoccupation de la forêt de Roanne pour s’opposer à son abattage, blocage des travaux du barreau routier, procès et expulsion à venir des habitant-e-s en bail précaire et des paysans. Il y encore tant à faire. Hollande, Ayrault et les cadres de Vinci doivent comprendre qu’il n’y aura pas de retour à la normale jusqu’à l’arrêt immédiat du projet d’aéroport. Qu’ils prennent garde, car plus la lutte se renforce sur le terrain et plus elle se répand !

Notre rêve, c’est que tous les ami-e-s d’ici et d’ailleurs ramènent chez eux un peu de la détermination qui est née dans ce bocage. Que cette lutte nourrie par celle du Val di Susa comme par celles de Plogoff et du Larzac, renforce en retour d’autres combats.

Nos révoltes ne se limitent pas à Notre-Dame-des-Landes et à son aéroport. Pendant que les caméras et l’attention se focalisent ici, ils continuent d’expulser et de bétonner ailleurs, tous les jours, en silence… L’Etat oppresse, enferme, réprime partout, tout le temps. Il est confortable de fermer les yeux, facile de se résigner, mais indispensable de se révolter. Partout, pour contrer tous les Césars qui veulent aménager nos vies et nos territoires, continuons de construire des foyers de résistance irréductible.

Ici comme ailleurs, défendons nos rêves et cultivons nos révoltes pour qu’elles deviennent leur cauchemar  !

On peut considérer ce qui est exprimé ici comme très juste. La lutte pour des endroits autogérés est une bataille que l’on peut considérer comme une lutte correcte, « révolutionnaire. »

Mais de notre côté, nous ne voyons rien d’écologiste. Il est parlé de la défense du paysage, et le choix d’un tel mot est l’une des pires choses que l’on peut faire dans l’écologie.

Il est parlé de rêve, mais il n’y a aucune affirmation de valeurs nouvelles. Ce n’est pas étonnant qu’alors on puisse retrouver des gens d’EELV ou de ce genre. Il n’y a pas de rupture avec l’esprit de domination humaine de la Nature et des animaux. On en est arrivé à une ligne qui est « le bocage contre l’aéroport. »

C’est une fausse alternative qui ne peut que laisser penser que le mouvement contre l’aéroport a épuisé ce qu’il portait en lui de culture de la rupture avec la tendance dominante. Mais c’est cela qui le faisait aller de l’avant. L’incompréhension de cela, dans le basculement de la revendication de l’autogestion locale, de l’autosuffisance, etc., va forcément se payer très cher sur le plan de la dynamique, tout comme cela a été le cas dans la lutte à Crey-Malville dans les années 1970.

Au lieu de donner naissance à l’écologie dans la reconnaissance de la Nature, on a une fuite en avant dans un appel au retour à la France des années 1960…Comme si s’opposer à un projet suffirait, comme si les choses pouvaient rester statiques ou aller en arriére.

Décidément, en France, tout est fait pour contourner la question brûlante de l’écologie et de la reconnaissance de la Nature. Pourtant, sans cela, on rate la dimension des questions de notre époque. Il saute aux yeux que la lutte contre l’aéroport rate la véritable cible, et ne voit pas la véritable cause à défendre.