Le colloque au Sénat « Nous et l’animal »

Il y avait hier deux manifestations : une à Lille contre la chasse des renards, une à Toulon pour les droits des animaux. C’est un signe des temps qui changent et les animaux « apparaissent ».

Cependant, tout est parfaitement encadré, rien ne déborde, tout le monde reste en définitive bien sage. Contrairement à la vague végane des années 1990 dans certains pays (Angleterre, Etats-Unis, Allemagne, Autriche…), tout est institutionnalisé de manière impeccable.

Pour preuve, le colloque « Nous et l’animal » organisé le 7 février dernier par le « think tank » Ecolo-Ethik (c’est-à-dire un organisme de réflexion financé par les entreprises, voire l’Etat). Il a été fondé par Chantal Jouanno (ex UMP désormais centriste) et l’avocat David Lefranc.

Pour connaître l’opinon de ce dernier, citons le :

« Les positions abolitionnistes sont non seulement marginales mais contre-productives. » « C’est un chiffon rouge qui est utilisé pour bloquer toute avancée dans le domaine de la protection animale. »

Cela veut tout dire, et d’ailleurs ce colloque s’est tenu… au Sénat. Rappelons que le Sénat c’est cette sorte de second parlement au fonctionnement incompréhensible et qui en fait est un bastion du conservatisme, il « casse » les lois trop « marquées » décidées par le Parlement, il les neutralise.

Cela ne veut pas dire qu’il n’y a aucune réflexion : la chaîne « Sénat » n’hésite pas à diffuser des documentaires très progressistes, et là il y a ce colloque. Mais le but, c’est de moderniser, pas de changer quoi que ce soit.

Ainsi, de nombreux « spécialistes » ont été invités au colloque : Yann Arthus-Bertrand, Peter Singer, Jane Goodall, Matthieu Ricard (un moine bouddhiste), l’inévitable Boris Cyrulnik, Elisabeth de Fontenay, Allain Bougrain-Dubourg, Yves Coppens (un paléoanthropologue), les reponsables de 30 millions d’amis ou encore Laurence Parisot (ancienne présidente du Medef, le « syndicat » des patrons).

On notera également la présence de responsables directs de l’exploitation animale, salués au passage par un « tweet » d’ecolo-ethik :

Ecolo-Ethik ‏@EcoloEthik 12 févr.
Merci aux représentants des éleveurs qui ne doivent pas être les boucs émissaires de nos choix de société. http://www.lafranceagricole.fr/actualite-agricole/statut-de-l-animal-les-tenors-de-la-cause-animale-laissent-peu-de-place-aux-eleveurs-colloque-ecolo-ethik-84131.html …”

C’est très parlant !

Le colloque a en pratique consisté en quatre tables rondes (avec en tout pratiquement 80 « experts ») avec comme thèmes :
– « l’animal et l’économie »
– « le régime juridique de l’animal en France et à l’étranger »
– « l’animal et l’éducation »
– « la reconnaissance de l’animal par la science et la pensée »

Sur Sciences et Avenir, on a dans ce cadre droit à une interview (datant en fait de 2012!) de Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, qui a participé au colloque et qui est présenté comme un « spécialiste de l’éthique animale ». Or, sa biographie montre surtout que c’est en réalité un très haut spécialiste militaire… On a les « spécialistes » que l’on peut!

Toutefois il faut bien voir que c’est le droit qui va être modernisé, pas la morale. Pas question en effet que l’on en arrive à la libération animale : le système compte se protéger en « verrouillant » autant que cela soit nécessaire.

Il y a lieu ici de citer le quotidien Libération, qui présente de manière assez claire la problématique :

« La sénatrice Chantal Jouanno a plaidé vendredi pour une meilleure prise en compte du «bien-être animal» à travers, notamment, la création d’une fonction de «médiateur» chargé de veiller à l’application du droit en la matière.

Le fait que l’animal soit considéré comme un «bien meuble» dans le Code civil fait que «tout ce qui est acte de cruauté envers un animal est aujourd’hui très peu sanctionné en France», a-t-elle indiqué à l’AFP, à l’occasion d’un colloque au Sénat organisé par le club de réflexion Ecolo-Ethik, qu’elle préside avec la magistrate Laurence Vichniesky.

La récente condamnation à Marseille d’un homme après la diffusion de vidéos sur internet où il jetait un chat en l’air à plusieurs reprises est «une exception», estime Mme Jouanno.

L’ex-secrétaire d’Etat à l’Ecologie souhaite s’appuyer sur les conclusions du colloque pour faire 25 propositions pour lutter contre la «maltraitance inutile» et mieux déterminer la place de l’animal dans le système économique, le droit mais aussi l’éducation ou la culture. »

Il s’agit de « gommer » les aspects les plus criants, de « séparer » autant que possible les animaux dits de compagnie et ceux qui sont dans les fermes-usines, de « neutraliser » toute contestation en la plaçant sur un terrain juridique réformiste.

C’est on ne peut plus brillant. Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas des choses utiles, comme l’idée d’une « objection de conscience » pour les personnes refusant la vivisection lors des études de médecine – mais cela n’abolira pas la vivisection, cela la rendra « humaine ».

L’article de la revue L’Express au sujet du colloque est assez exemplaire également. Saluant le colloque comme historique et citant plusieurs fois L214, il est affirmé qu’il y a « le droit à une consommation de viande éthique et responsable ».

L’exploitation animale peut être satisfaite: la « modernisation » par le droit permet de faire passer la morale et la culture à l’arrière-plan. Ce round ci est pour elle, sans doute de manière inévitable. Mais la bataille n’est pas finie!