« No Animals Were Harmed in the Making of This Motion Picture »

Lors du festival du cinéma à Venise en ce moment, « la mostra », a été diffusée la version intégrale du film de Michael Cimino, « La Porte du paradis », soit 219 minutes.

C’est un film qui a son importance, car il a joué un grand rôle historique dans l’apparition récurrente dans les films américains, à la fin du générique, de la fameuse phrase comme quoi aucun animal n’a été blessé durant le tournage d’un film :

« No Animals Were Harmed in the Making of This Motion Picture »

Voici la petite histoire, qui est finalement extrêmement compliquée et vraiment compréhensible qu’en partant du point de vue de la libération animale et la libération de la Terre.

Le réalisateur Michael Cimino n’est en effet pas n’importe qui. Ce n’est pas moins que l’un des scénaristes de « Silent Running », film de 1972 dont nous avons parlé, au contenu écologiste radical formidable.

Par la suite, il a vite obtenu un énorme succès avec Voyage au bout de l’enfer, sorti en 1978. Le véritable titre est « The Deer Hunter », le chasseur de cerfs. Il s’agit d’une fresque de trois heures, qui a eu un énorme succès (et ramené cinq oscars).

On a dans ce film l’histoire de trois ouvriers, qui vivent simplement et sur le tas, la chasse étant motivée de manière schizophrène de cette manière par l’un d’entre eux : « J’aime les arbres… tu sais… la manière dont sont les arbres… »

Après cette présentation, le film traite de l’enfer de la guerre du Vietnam, et de la folie qui s’ensuit ; le film a été considéré comme la vision de la guerre du Vietnam du point de vue des ouvriers américains, dans le réalisme social à la Steinbeck et Bruce Springsteen.

Puis vient « La Porte du paradis », qui est un film mythique. Cimino a réalisé un tour de force avec ce film, sur tous les plans, et comme nous allons le voir pas forcément les meilleurs.

Déjà, il a réalisé 220 heures de rush. Le premier montage fut de 5h25, le second de 3h39, et le dernier de 2h29. Cimino pouvait faire ce qu’il voulait et finalement il a plombé la société United Artists.

Le film devait coûter 20 millions de dollars, ce qui était déjà énorme, et il en a coûté 44. Depuis ce film, les studios hollywoodiens contrôlent étroitement la production…

Ce n’est pas le seul aspect marquant du film. Le scénario est, un peu comme « Voyage au bout de l’enfer », une attaque en règle d’un autre mythe américain. Il s’agit en effet d’un western, où des colons font face à la domination terroriste des grands propriétaires terriens pratiquant l’élevage.

Ce sont pas moins de 125 colons qui font partie d’une liste noire et qui doivent être exécutés. Leur résistance va tenir, mais l’armée ne va pas être de leur côté, et c’est un massacre.

Un scénario très dur et politique, à la fin des années 1970 : cela n’a pas plu, forcément, alors qu’en plus Reagan allait passer président, ce qui en dit long sur l’ambiance de guerre froide.

Cela explique l’accueil catastrophique du film, qui a littéralement été carbonisé par la critique. Les critiques ont littéralement assassiné le film, qui a été enlevé des salles au bout d’une semaine, et a donc coulé United Artists.

La société de financement Transamerica Corporation, qui possédait United Artists, a revendu celle-ci et a abandonné le cinéma, craignant pour son image après ce film anti-patriotique.

Cimino est depuis connu pour avoir toujours des lunettes noires et avoir été totalement traumatisé par la critique. Il était d’ailleurs en larmes à Venise lors de la diffusion de la version originale de « La Porte du paradis. »

Par la suite, il a fait quelques films consistant en une critique des mafias, comme « L’Année du dragon » et « Le sicilien», mais surtout il a réalisé un film écologiste radical impressionnant : « the Sunchaser. »

Ce film de 1996 a également réussi un tour de force : celui de ne jamais sortir. La raison en est la nature écologiste radical du scénario, puisqu’on y voit un voyou d’origine navajo en prison prendre en otage un médecin pour être amené à un sorcier, censé être capable de guérir son cancer.

C’est un film d’une incroyable poésie, où deux mondes se rencontrent et se confrontent : d’un côté, la tradition proche de la Terre, celle des Amérindiens, avec un voyou des classes les plus pauvres, et de l’autre un médecin carriériste faisant partie de la bourgeoisie WASP (white anglo-saxon protestant).

Après le boycott du film par l’industrie du film, Cimino n’a plus fait de film.

Entre « Silent Running » et « the Sunchaser », deux monuments d’écologie, avec une grande radicalité, on ne peut qu’être vraiment frappé du dernier aspect de « La Porte du paradis », un aspect dramatique.

Tout part de la American Humane Association, une association pour les droits des animaux.

L’association n’a pas eu accès à la production du film, mais a disposé des informations : selon elle, des chevaux se sont vus infliger des blessures au cou, sans être soigné, afin que le sang bave sur les acteurs.

Pire, quatre chevaux ont été tués, plusieurs blessés, lors d’une scène de bataille. Un des chevaux aurait même été tué à la dynamite !

Un accord à l’amiable a même eu lieu entre la production et un propriétaire d’un cheval, en raison des traumatismes physiques et comportementaux qu’il a subi.

Ce n’est pas tout : contre la production se sont élevés des accusations comme quoi il y aurait de vrais combats de coqs, comme quoi des poulets auraient été décapités, des vaches éventrés afin de fournir des « intestins » pour les scènes de blessures…

A l’époque, la American Humane Association avait ainsi appelé au boycott du film. Mais la conséquence principale fut justement la généralisation de la pratique de l’association depuis 1940 : superviser l’utilisation d’animaux dans les films.

A la suite de « La Porte du paradis », la Screen Actors Guild (syndicat représentant aujourd’hui 1000 personnes dans le cinéma et la télévision) et la Alliance of Motion Picture and Television Producers (représentant aujourd’hui 350 sociétés de production et studios) ont décidé d’autoriser par contrats la American Humane Association à surveiller l’utilisation de tout animal dans toute production filmée.

C’est cette surveillance qui fait que les films surveillés ont à la fin du générique cette phase de la American Humane Association :

« No Animals Were Harmed in the Making of This Motion Picture. »

Ce n’est pas une phrase mise juste comme cela, mais une phrase avec « copyright », obligatoirement en rapport avec la surveillance de la American Humane Association.

Il est intéressant de savoir justement que l’intéressant film District 9, dont nous avons parlé ici, a cette phrase au générique, mais sans l’accord de la American Humane Association.

Comme on le voit, cela est à la fois simple et compliqué, mais aussi très triste. Comment Michael Cimino, qui commence par Silent Running et finit par Sunchaser, peut-il entre les deux se fourvoyer à ce point dans le rapport à la Nature, alors qu’il y a une grande critique sociale ?

Pourquoi faire dans « La Porte du paradis » la critique des grands propriétaires éleveurs pour leur terrorisme, si c’est pour tourner de manière barbare ? Et pourquoi critiquer la barbarie de la guerre du Vietnam dans « The deer hunter » (« Voyage au bout de l’enfer » dans la version française), si c’est pour appeler son film ainsi et ne pas extirper toute cette culture de mort ?

Il y a ici quelque chose qui ne tourne pas rond, et montre bien qu’une critique sociale s’arrête en chemin si elle ne prend pas l’ensemble du monde, si elle se cantonne seulement dans des rapports seulement inter-humains, alors que forcément tout est lié : style de vie, type de production (et de consommation), approche de la réalité, de la Nature, de la vie !