« Être boucs par les pieds et hommes par les mains »

Si on cherche l’éloge de la Nature, il faut la chercher en France surtout dans la poésie, et encore est-ce rare, la Nature n’étant surtout qu’un paysage prétexte à l’expression du sentiment du poète tourmenté du romantisme du 19ème siècle.

Raison de plus de se tourner vers Ronsard ; nous avions déjà parlé de sa protestation contre les bûcherons de la forêt des Gâtines, mais voici également un hymne à l’automne très expressif.

Nous avons coupé comme s’il y avait des strophes, bien qu’il n’y en ait pas à l’origine, afin que cela soit plus lisible.

Hymne à l’automne, Ronsard

Je n’avais pas quinze ans que les monts et les bois
Et les eaux me plaisaient plus que la cour des Rois,
Et les noires forêts en feuillage voûtées,
Et du bec des oiseaux les roches picotées ;

Une vallée, un antre en horreur obscurci,
Un désert effroyable était tout mon souci ;
A fin de voir au soir les Nymphes et les Fées
Danser dessous la lune en cotte par les prées

Fantastique d’esprit, et de voir les Sylvains
Être boucs par les pieds et hommes par les mains,
Et porter sur le front des cornes en la sorte
Qu’un petit agnelet de quatre mois les porte.

J’allais après la danse, et craintif je pressais
Mes pas dedans le trac des Nymphes, et pensais
Que pour mettre mon pied en leur trace poudreuse
J’aurais incontinent l’âme plus généreuse ;

Ainsi que l’Ascrean [le poète grec Hésiode] qui gravement sonna
Quand l’une des neuf Sœurs du laurier lui donna.
Or je ne fus trompé de ma jeune entreprise ;
Car la gentille Euterpe [muse de la musique] ayant ma dextre prise,

Pour m’ôter le mortel par neuf fois me lava
De l’eau d’une fontaine où peu de monde va,
Me charma par neuf fois, puis d’une bouche enflée
(Ayant dessus mon chef son haleine soufflée)

Me hérissa le poil de crainte et de fureur,
Et me remplit le cœur d’ingénieuse erreur,
En me disant ainsi : « Puisque tu veux nous suivre,
Heureux après la mort nous te ferons revivre

Par longue renommée, et ton los [louange] ennobli
Accablé du tombeau n’ira point en oubli.»
« Tu seras du vulgaire appelé frénétique,
Insensé, furieux, farouche, fantastique,

Maussade, malplaisant, car le peuple médit
De celui qui de mœurs aux siennes contredit.
Mais courage, Ronsard ! les plus doctes poètes,
Les Sibylles, Devins, Augures et Prophètes,

Hués, sifflés, moqués des peuples ont été,
Et toutefois, Ronsard, ils disaient vérité.
N’espère d’amasser de grands biens en ce monde :
Une forêt, un pré, une montagne, une onde

Sera ton héritage, et seras plus heureux
Que ceux qui vont cachant tant de trésors chez eux.
Tu n’auras point de peur qu’un Roi, de sa tempête,
Te vienne en moins d’un jour escarbouiller la tête

Ou confisquer tes biens, mais, tout paisible et coi,
Tu vivras dans les bois pour la Muse et pour toi. »
Ainsi disait la nymphe, et de là je vins être
Disciple de Dorat, qui longtemps fut mon maître ;

M’apprit la poésie, et me montra comment
On doit feindre et cacher les fables proprement,
Et à bien déguiser la vérité des choses
D’un fabuleux manteau dont elles sont encloses.

J’appris en son école à immortaliser
Les hommes que je veux célébrer et priser,
Leur donnant de mes biens, ainsi que je te donne
Pour présent immortel l’Hymne de cet automne.

Il est vraiment intéressant de voir qu’en France il y a eu des gens pour se tourner vers la Nature et considérer qu’elle représentait la vie, la créativité, bref ne voyant pas de contradiction entre la Nature et la culture.

Il est assez frappant de voir que Ronsard souligne bien que ceux qui se tournent vers cette créativité seront « hués, sifflés, moqués » et que les refuges seront « une forêt, un pré, une montagne, une onde. »

Quand on s’intéresse à l’écologie en France, on ne peut qu’être frappé par cette contradiction entre des gens voulant se tourner vers la Nature et considérant les villes comme insupportables (Paris en étant l’exemple le plus typique), alors que de l’autre par individualisme ils reprennent le principe de l’étalement urbain, engloutissant la Nature dans une sorte de gigantesque banlieue.