Hervé Kempf: du grand bourgeois au petit-bourgeois

Le Monde n’a rien d’un journal contestataire: c’est un quotidien fondé après 1945 et lié au milieu catholique de gauche, tout comme Télérama qui fait partie d’ailleurs du même groupe.

L’esprit dominant est une certaine critique de gauche, toujours lié aux milieux catholiques français et à la culture de Sciences-Po Paris, le Parti Socialiste, etc. Cela n’a rien de nouveau, cela fait 60 ans que c’est comme cela.

Le journaliste Hervé Kempf y a travaillé pendant quinze années, il a été bien content d’avoir le prestige du titre de « journaliste au Monde » et de pouvoir en même temps écrire des chroniques sur l’écologie. Cela associait crédibilité et critique « intelligente. »

Et comme ce prestige lui donnait une certaine aura et une certaine crédibilité, cela a pu entre autres aboutir au grand succès de son livre « Comment les riches détruisent la planète », célébré notamment par le vénézuélien Hugo Chavez, les décroissants, les restes des alter-mondialistes, etc.

Tout cela profitait au Monde et inversement; on a là le même esprit, et d’ailleurs Hervé Kempf a su se montrer prudent, puisqu’il dénonce non pas les bourgeois ou le capitalisme, ce qui n’aurait pas eu sa place dans le Monde, mais « l’oligarchie. »

Qu’est-ce que c’est, mystère, d’où l’utilité pratique du concept. Et comme en plus Hervé Kempf ne prône pas la libération animale ni le véganisme, et qu’il ne dit pas que la Nature a une valeur en soi, tout cela était rassurant pour les responsables du Monde…

Mais donc Hervé Kempf a quitté le Monde il y a quelques jours, avec perte et fracas en apparence, en réalité de manière négociée, parce qu’on est là dans un milieu très propre, très comme il faut.

Il y a lieu de démasquer l’entreprise qui a lieu ici. En apparence, Hervé Kempf prétend que le Monde ne s’occupe assez d’écologie, qu’il a été victime de pressions de la part du journal sur la question de Notre Dame des Landes.

Nous avions parlé de la lutte à Notre Dame des Landes et à un moment nous avons dit: « nous arrêtons d’en parler, c’est désormais un projet réactionnaire visant à retourner en arrière, c’est une conception de petit producteur, de petit capitaliste. »

Et bien Hervé Kempf a vu la même chose, il a vu le même tournant; lui par contre trouve cela très bien, et c’est pourquoi il en a fait la clef de sa rupture avec le Monde. Il a vu un boulevard pour sa carrière.

Il explique dans un article, bien entendu sur son site qu’il vante désormais comme étant « le site de l’écologie »: http://www.reporterre.net

« Ce 2 septembre, quinze ans et un jour après y être entré, je quitte Le Monde : en ce lundi, le dernier lien juridique entre ce journal et moi est défait, par le « solde de tout compte ».

Que je quitte volontairement un titre prestigieux étonnera peut-être. Mais certes moins que la raison qui m’y pousse : la censure mise en œuvre par sa direction, qui m’a empêché de poursuivre dans ce journal enquêtes et reportages sur le dossier de Notre Dame des Landes (…).

Je me lance dans l’aventure du site Reporterre, parce que plus que jamais, une information indépendante est nécessaire pour rendre compte du phénomène le plus crucial de l’époque, la crise écologique (…).

Nous manquons de lieux où s’expose nettement cette problématique, où se présentent les informations et les reportages qui l’expriment, où l’on lise les débats et réflexions vigoureuses qu’appellent les nouvelles questions qui se posent, où les mouvements sociaux et les luttes « d’en bas » soient racontés, où les mille alternatives et solutions nouvelles que créent autant de citoyens qui savent que, oui, « un autre monde est possible » seront décrites, comme ailleurs, on relate les aventures des entreprises du CAC 40.

Eh bien, nous allons développer ce lieu nécessaire, ce « quotidien de l’écologie ». C’est Reporterre.

Faiblesse de nos moyens face aux millions des oligarques qui contrôlent les médias. Nous ne sommes rien, ils sont tout. Mais nous avons ce que l’argent ne peut pas acheter : la conviction, l’enthousiasme, la liberté. »

Conviction, conviction, conviction de quoi, conviction de rien du tout, oui! Que s’est-il passé? En fait, le Monde n’a pas laissé Hervé Kempf relater ce qui se passe à Notre Dame des Landes ces derniers mois en tant que journaliste du Monde, mais seulement pour son propre site.

Hervé Kempf étant « engagé », cela ne collait pas à l’image sacro-sainte du Monde comme étant neutre, sérieux, etc dans ses enquêtes journalistiques. Mais Kempf retourne cela en disant qu’il y avait des pressions de la part des promoteurs de l’aéroport.

Kempf reproche également la chose suivante, ce qui montre qu’il se moque du monde, car qui sont justement les lecteurs et lectrices du Monde si ce n’est la bourgeoisie rive gauche?

« En mars, une nouvelle directrice du Monde fut désignée par les actionnaires. Une de ses premières réformes fut de rétrograder le service Planète, pourtant bien peu remuant, en un pôle subordonné au service International. Le journal lançait une formule marquée par un cahier consacré à l’Economie et aux entreprises, signe de la ligne nouvelle, qui visait la clientèle des « responsables » et CSP +++. »

Tout le monde sait bien que le Monde n’a pas un lectorat populaire, mais composé culturellement de bourgeois de gauche, de bobos, etc. Cela a toujours été un journal conservateur de gauche, de gens en cravates, d’étudiants de Sciences-Po.

Naturellement, le Monde se présentait comme non pas un journal pour les « bourgeois de gauche », mais pour les « intellectuels. » Personne n’est dupe pour autant.

La rupture de Hervé Kempf joue pourtant là-dessus, en faisant semblant de voir un abandon par le Monde de ses positions « intelligentes. » Il a vu la possibilité de jouer le José Bové du Monde.

Hervé Kempf veut rassembler les gens pour qui l’écologie, ce n’est pas la défense de la Nature, etc., mais un moyen de pression en faveur des petits capitalistes face à « l’oligarchie. » Et il a géré savamment ce virage, justement au moyen de Notre Dame des Landes, parce qu’il a vu comme nous que c’est une question clef.

Depuis le tournant d’il y a quelques mois à Notre Dame des Landes, avec la médiatisation massive, Notre Dame des Landes symbolise le projet de la décroissance, des petits producteurs, etc.

Même des gens qui n’en ont rien à faire de la Nature se présentent comme « écologiste radical » (alors qu’il n’y a strictement rien derrière). Avec Notre Dame des Landes, être écolo c’est être contre les grands projets, les grands capitalistes, les « grands. » 
Le Monde peut adhérer dans l’esprit, mais ne peut pas être un outil politique sur ce point, de par sa dimension formelle de grand quotidien national, neutre, objectif, etc, etc.

Hervé Kempf se place savamment ici, puisqu’il sera « politiquement » reconnu au moyen d’une fausse rupture, et la rédaction du Monde n’est d’ailleurs nullement dupe de ce virage « promotionnel », tellement la rupture de Kempf relève du cinéma.

Si Hervé Kempf avait vraiment été un écologiste activiste, il n’aurait pas écrit pendant quinze ans pour un quotidien totalement imbriqué dans les institutions. De par la dimension de la destruction, il aurait dû être en conflit avec Le Monde depuis bien plus longtemps que cela !

Il a beau jeu de dire aujourd’hui que l’écologie est la question principale: n’a-t-il pas été lui-même l’alibi du Monde à prétendre de soucier d’écologie? Il était évident que Le Monde ne s’intéresse pas à l’écologie, et pourtant Hervé Kempf y était resté. Car son écologie c’est une sorte d’altermondialisme de petit producteurs, du style Notre Dame des Landes, rien à voir avec la dimension nécessaire: la libération animale, la reconnaissance de la Nature comme ayant une valeur en soi, la reconnaissance de notre planète comme système global abritant la vie.