« Le lait est-il bon pour la santé ? »: une tentative critique

Le secteur laitier de l’exploitation animale a décidé de mettre en avant un nouveau logo, « Lait collecté et conditionné en France ». C’est une initiative lancée par Syndilait (réunissant les producteurs de lait sous forme liquide), avec le soutien du ministère de l’Agriculture et de la FNPL (Fédération nationale des producteurs de lait).

De nombreux médias ont relayé cette information, soulignant les « dangers » pour cette « filière » – 67 000 élevages avec en moyenne 53 vaches -, alors que la production a reculé de près de 3%, que les importations augmentent, etc.

L’un des articles les plus étranges, peut-être le plus marquant historiquement, est celui du quotidien Le Monde.

Pour la première fois, en effet, on a une tentative ouverte, et institutionnelle, d’ouvrir la porte à une critique de lait. C’est quelque chose de tout à fait nouveau, et dans 25 ans, on considérera qu’il y a eu ici un déclic, un changement culturel, le début de quelque chose.

Les limites de l’exercice sont bien sûrs patents, avec surtout la fameuse sortie à la française: restons mesurés, on évitera les soucis, etc. Mais quand on connaît le poids de l’industrie du lait en France, cet article est quelque chose exprimant une véritable lame de fond de critique du lait, cela tranche avec l’hégémonie complète et absolue de ce secteur de l’exploitation animale jusqu’ici.

Le lait est-il bon pour la santé ?

Les ventes de lait en France ont baissé de presque 3 % en 2014 en volume, selon Syndilait, syndicat des fabricants de lait. En dix ans, elles ont reculé de 10 %.

La faute en est à la désaffection des Français pour le petit déjeuner et pour la cuisine à base de lait, mais aussi aux « courants antilait », selon le président du syndicat, Giampaolo Schiratti. Alors que le ministère de la santé recommande de consommer trois produits laitiers par jour, le breuvage blanc est parfois accusé de causer des troubles de la digestion, voire des pathologies. Le lait de vache, le plus couramment consommé en France, est-il bénéfique pour la santé ?

La France et le lait, une longue histoire d’amour (et d’argent)

En 1954, Pierre Mendès France instaurait la distribution de lait dans les écoles pour enrayer la dénutrition chez les élèves. Elle permet de contrer les carences alimentaires constatées sur les enfants dans la France de l’après-guerre. La « galactothérapie » (le soin par le lait) s’appuie sur de solides arguments : le lait est une source de protéines et de vitamines (notamment B1, B2 et A si les vaches consomment suffisamment de fourrage vert).

Il est aussi riche en calcium, qui contribue à la solidité des os et des dents, la transmission des messages nerveux et la régulation des battements du cœur.

« Le calcium et les nutriments du lait sont nécessaires à la croissance de l’enfant et au bon équilibre alimentaire de l’adulte », affirme Giampaolo Schiratti, qui est aussi directeur général de Candia. Pourtant, les vertus du lait sont régulièrement remises en question. En 2007, Thierry Souccar a fait grand bruit avec son livre Lait, mensonges et propagande. Le journaliste scientifique et éditeur remet en question les bienfaits des produits laitiers pour nos os.

« J’ai été ostracisé par les nutritionnistes qui travaillent avec l’industrie laitière », estime-t-il. Le sujet est délicat pour ces industriels, dont le chiffre d’affaires annuel avoisine les 27 milliards d’euros. Les géants de l’agroalimentaire comme Danone n’ont aucun intérêt à voir les vertus des laitages remises en question.

« On a dit que j’étais antilait, poursuit Thierry Souccar, c’est une caricature. En réalité, je questionne la recommandation de « 3 laitages par jour » préconisés par le ministère de la santé. »

Boire du lait est indispensable pour nos os
FAUX

L’adage veut que boire du lait renforce nos os, car il contient du calcium. En cas de carence alimentaire, nous puisons ce minéral dans nos réserves osseuses. Il est donc très important d’en absorber suffisamment pendant les vingt premières années de notre vie, afin de constituer un solide capital osseux. Ensuite, un apport suffisant en calcium permet de ralentir le vieillissement de nos os.

1 litre de lait = 1 200 mg de calcium
1 litre d’eau minérale = 100 à 600 mg de calcium

1 yaourt nature (125 g) = 130 mg de calcium
100 g de brocoli = 50 mg de calcium

L’autre adage veut que le lait protège contre l’ostéoporose, cette maladie « des os poreux » qui peut entraîner des fractures, principalement chez les femmes. Pour être épargnées, elles doivent non seulement consommer du calcium, mais aussi assurer leurs apports en vitamines D et K et faire suffisamment d’exercice physique. Cette maladie osseuse est également liée à des facteurs génétiques et hormonaux.

Le manque de laitages n’est donc pas la cause de l’ostéoporose. D’ailleurs, outre les laitages, il existe d’autres aliments riches en calcium, comme le chou ou les fruits secs. Si le Programme national nutrition santé préconise la consommation de produits laitiers pour ingérer au moins 700 à 800 mg de calcium par jour, c’est parce que la majorité des apports en calcium des Européens est issue du lait.

Reste que « la quantité adéquate de calcium qui doit composer notre régime alimentaire n’a pas encore été déterminée », selon le département nutrition de l’école de santé publique de l’université Harvard. En Inde, au Japon ou au Pérou, la prise de calcium journalière moyenne est de 300 mg par jour seulement.

Pourtant, les fractures y sont moins courantes qu’en Europe. Pas de quoi tirer des conclusions hâtives : des facteurs autres que le calcium peuvent expliquer cette résistance aux fractures, comme l’activité physique ou l’exposition au soleil (qui permet de synthétiser de la vitamine D).

En 2014, une étude a toutefois montré qu’une forte consommation de lait pendant l’adolescence ne se traduisait pas par une baisse du nombre de fracture de la hanche. Elle pourrait même… causer des fractures, selon des chercheurs suédois, qui appellent malgré tout à traiter leurs résultats avec prudence.

« Il est possible d’avoir une alimentation équilibrée sans laitages », concède Marie-Claude Bertière, directrice du département santé du Centre national des professionnels du lait (Cniel), « si on est professeur de nutrition ! Parce que c’est assez compliqué. Et à condition d’avoir les moyens financiers de remplacer les apports nutritionnels du lait par d’autres produits. »

Boire du lait contribue au développement de cancers
ÇA DÉPEND

« Un cancer sur deux est lié à de mauvaises habitudes alimentaires », selon Henri Joyeux, cancérologue et professeur de chirurgie digestive à la faculté de médecine de Montpellier. En ce qui concerne le lait, l’une des sources d’inquiétude est la présence de « facteurs de croissance ».

Par définition, le lait de vache est destiné aux petits veaux, qui gagnent une centaine de kilos en quelques mois. Il contient des molécules produites par la vache, qui favorisent la multiplication cellulaire – les « facteurs de croissance ». Ces molécules pourraient avoir un impact délétère sur les adultes.

L’avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire sur le sujet ne permet pas de trancher, car il ne se penche pas sur toutes les substances contenues dans le lait. Certaines d’entre elles pourraient avoir un effet bénéfique sur les cellules cancéreuses (par exemple les bactéries, sur la tumeur du colon), d’autres, comme les facteurs de croissance, pourraient être nocives (notamment pour le cancer colorectal, de la prostate ou du sein).

L’addition entre effet négatif et effet positif des laitages reste incertaine. L’Organisation mondiale de la santé pointe par exemple du doigt les études selon lesquelles le lait pourrait protéger contre le cancer du colon et le cancer de la vessie.

Des études supplémentaires sont nécessaires pour déterminer si une forte consommation de lait et de calcium peut augmenter le risque de développer un cancer des ovaires pour les femmes, et de la prostate pour les hommes, selon l’école de santé publique de Harvard. Le panel du rapport de l’Institut américain de la recherche sur le cancer estime quant à lui que les régimes riches en calcium sont l’une des causes probables du cancer de la prostate.

Pour Henri Joyeux, il est évident que les laitages peuvent causer des cancers, même si « tout dépend de la localisation cancéreuse et de la susceptibilité génétique de chacun, à laquelle il faut associer le tabac, les hormones et perturbateurs endocriniens, la pollution et le stress ».

Il met en cause notamment « le surpoids dû à la consommation excessive de produits laitiers (beurre, yaourts, fromages, crèmes, lait) » responsable de la formation de tissu gras, qui est cancérigène lorsqu’il est en excès.

Les laitages favorisent le diabète
ÇA DÉPEND

Le diabète de type 1 est dû à la destruction de cellules du pancréas spécialisées dans la production d’insuline, qui permet de diminuer la concentration de glucose dans le sang. Un dysfonctionnement du système immunitaire, lié à des facteurs génétiques et environnementaux, est en cause. Parmi eux, plusieurs sont à l’étude : les virus, la modification de la flore intestinale ou le régime alimentaire, y compris la consommation de produits laitiers.

La Finlande est l’un des pays européens où l’on consomme le plus de lait (126 litres de lait par an et par personne en 2011). C’est aussi le pays où les cas d’enfants diabétiques de type 1 sont les plus nombreux. De quoi alerter les scientifiques. Mais rien ne prouve que la prévalence du diabète dans ce pays est liée au lait. D’ailleurs, d’autres hypothèses vont bon train, comme l’excès d’hygiène, qui affaiblirait le système immunitaire des Finlandais.

Au contraire, pour Jean-Michel Lecerf, directeur du service nutrition de l’Institut Pasteur de Lille, « la consommation de lait diminue fortement les risques de diabète », même s’il concède que « le mécanisme d’action n’a pas été établi ». Le professeur Lecerf est également membre du comité scientifique de l’observatoire des habitudes alimentaires créé par les professionnels de l’industrie laitière. Il affirme n’avoir « aucun intérêt personnel » dans l’industrie du lait et exercer pour eux bénévolement.

La consommation de lait peut causer des maladies cardiovasculaires
ÇA DÉPEND

Pour prévenir les maladies cardiovasculaires, l’Agence nationale de sécurité sanitaire recommande de limiter les acides gras saturés à 10 % de nos apports énergétiques. Une consommation excessive de ces graisses pourrait favoriser l’excès de cholestérol et les maladies cardiovasculaires. Or près de 70 % des graisses contenues dans le lait sont saturées. Dans 100 ml de lait demi-écrémé par exemple, on trouve 1,5 g de matières grasses, dont environ 0,9 g d’acides gras saturés.

Pourtant, selon Jean-Michel Lecerf, « les études montrent une diminution du risque de développer une maladie cardio-vasculaire pour les consommateurs de laitages. De manière générale, ils ont un effet bénéfique sur le poids. » « Je peux moi aussi vous donner des études qui disent l’exact contraire », rétorque l’auteur de Lait, mensonges et propagande Thierry Souccar, pour qui « il est peu probable que les produits laitiers protègent contre le syndrome métabolique » (embonpoint, hypertension, forte glycémie, fort taux de « mauvais » cholestérol).

« Certains acides gras spécifiques du lait peuvent avoir des effets bénéfiques sur la santé, d’autres pourraient avoir des effets négatifs », explique Yves Chilliard, directeur de recherche en nutrition animale à l’Institut national des recherches agronomiques. L

es chercheurs de l’institut ont montré que l’alimentation du bétail avait une influence sur le profil des acides gras du lait. En modifiant le régime des vaches, on pourrait par exemple obtenir un lait riche en oméga-3. « Faut-il changer l’équilibre des matières grasses du lait ? », s’interroge Yves Chilliard. « Pas sûr que ce soit souhaitable. De toute façon, l’important n’est pas là : il faut limiter nos apports en calories et en matières grasses, quelles qu’elles soient. »

Dans cette logique, certains laitages sont exclus de la catégorie des produits laitiers – à consommer trois fois par jour – du Programme national de nutrition. C’est le cas du beurre, classé parmi les matières grasses, ou des desserts à base de lait, comme le flan.

Le lait cause douleurs, diarrhées et ballonnements
SEULEMENT CHEZ LES INTOLÉRANTS AU LACTOSE

Nous ne sommes pas tous capables de digérer le lait. Certaines ethnies, notamment en Europe du Nord, sont plus tolérantes au lactose, ce sucre présent dans le lait. Au contraire, environ 90 % des Asiatiques sont intolérants.

La capacité à digérer ce sucre résulte d’une mutation intervenue récemment dans l’histoire de l’humanité, avec la naissance de l’agriculture. Notre tolérance au lactose est à son maximum au début de la vie, puis décroît avec l’âge. Deux à cinq Français sur dix ont des difficultés à digérer le lait.

Résultat : ils souffrent de diarrhées, ballonnements ou maux de ventre. Selon un avis de l’Autorité européenne des sécurité des aliments, ils peuvent malgré tout tolérer une prise de 12 g de lactose (soit 250 ml de lait) sans montrer de symptômes, et des quantités supérieures si la consommation de produits laitiers est répartie dans la journée.

Les intolérants qui ne veulent pas renoncer aux laitages peuvent s’essayer au lait délactosé, aux yaourts et à certains types de fromages, dont le lactose est déjà en partie « digéré ».

Boire du lait, mais pas trop

Les produits laitiers ne sont pas essentiels à un régime alimentaire équilibré. S’ils sont une importante source de calcium, ils ne sont pas la seule. Il existe aussi des aliments riches en protéines (viande, œufs, poisson, légumineuses) ou en vitamines contenues dans les laitages.

Une consommation de lait trop élevée est soupçonnée de favoriser certaines pathologies. L’Autorité européenne de sécurité alimentaire recommande de se limiter à 2,5 g de calcium par jour (l’équivalent d’un peu plus de 2 litres de lait), que ce soit par le biais de l’alimentation, des boissons ou de compléments alimentaires. Pour ce qui est des laitages en particulier, le professeur Walter Willett, responsable du département de nutrition de l’école de santé publique à Harvard, conseille d’en consommer un à deux par jour au maximum, pour ceux qui le souhaitent.

Pour simplifier, Yves Chilliard rappelle un conseil de grand-mère : « Il faut manger un peu de tout. Et ne pas se resservir. »