Pour un véganisme clair comme du cristal, autant que possible!

Les Français tiennent à leur individualisme, ils le défendent coûte que coûte, et après ils s’étonnent d’être totalement dépassés par la réalité. Voici un exemple avec la dernière publication mise en avant par « infokiosques » : ni plus ni moins qu’un texte anti-végan de… 1993.

Il faut farfouiller les vieux tiroirs pour tenter d’empêcher ce qui semble chaque jour davantage inéluctable : l’émergence d’une morale stricte.

On peut lire ainsi ces lignes, d’un ultra-libéralisme digne de l’UMP, dans un article intitulé « Au sujet de la « pureté » publié dans une revue « antispéciste » :

« Je ne suis pas végétalienne strictement ; ce serait certainement mieux dans l’absolu que je change de marque de margarine pour en trouver une sans petit-lait (« lactosérum ») ; que je refuse systématiquement le chocolat au lait ; que je fasse plus d’efforts pour me passer des médicaments que je prends quand je suis malade et qui sont tous testés sur animaux (et contiennent de la gélatine et d’autres excipients animaux) ; que je revende mes pulls en laine ; etc.

Je n’ai pas les mains propres ; mais je pense aussi que tous les animaux qui meurent chaque jour dans les abattoirs se fichent bien de savoir si j’ai les mains propres. »

Voilà un refus « rationnel » de la morale qui est typique du libéralisme français. Ne pas en faire trop… Ne pas choquer… Ne pas être strict, dogmatique… Tout un discours relativiste littéralement insoutenable, visant à justifier toutes les trahisons.

La pratique est repoussée…. À plus tard, car on ne peut pas faire autrement. On lit ainsi également :

« Il n’existe pas de produits « sans cruauté ». Il existe seulement des produits avec plus ou moins de cruauté (et il n’y a pas que la cruauté envers les animaux, il y a aussi les produits provenant de l’exploitation d’humains). Je ne pense cependant pas non plus que notre but doit être de n’utiliser que des produits « avec le moins de cruauté possible ».

Si nous voulions être « le plus pur possible », nous n’utiliserions pas de photos, en raison de la gélatine dans les films. Nous ne pourrions faire des affiches, en raison des films d’imprimerie, et peut-être aussi de l’encre. Militer deviendrait beaucoup plus difficile. Même les timbres sont suspects (la colle au dos n’est-elle pas animale ?). Mais il faut ainsi arriver à faire des choix, en prenant aussi d’autres critères en compte, et ce n’est pas toujours facile. »

Tout cela est pathétique et reflète l’esprit de la capitulation et de la trahison. Et cela n’a rien de nouveau. Ce qui est intéressant par contre, c’est l’approche employée. Le texte prend comme prétexte, pour critiquer une morale stricte, le fait que des gens choisissent le « repli ».

Pour synthétiser, au lieu d’avoir une critique progressiste des gens se repliant sur « leur » véganisme, l’auteure en déduit qu’il faut lâcher du lest pour faire de la politique. C’est une critique en apparence constructive, et en réalité poussant à la capitulation.

Voici sa critique des gens se repliant sur eux-mêmes :

« Dans les magazines végétaliens anglais beaucoup d’encre a coulé autour de l’expression « sans cruauté » ; pour les puristes, « sans cruauté, c’est sans cruauté ». Par exemple, non seulement un vegan (végétalien) pour être authentique ne doit pas porter de laine, mais il ne doit pas manger non plus de corn-flakes de la marque Kellog’s parce qu’on y trouve, en additif, de la vitamine D produite à partir de lanoline (corps gras extrait de la laine). Certes, il n’y en a que 0,000 003 % ; « mais ce n’est pas le problème » ; car « soutenir une société qui comme Kellog’s insiste pour utiliser une source animale paraît une chose très étrange à faire pour un vegan » (lettre d’un lecteur à Vegan Views n°54, p. 11).

Ailleurs, nous avons lu qu’il fallait proscrire le sucre blanc, blanchi avec du charbon animal ; et le vin, qui contient du sang et des extraits de poisson. Dans un autre numéro de Vegan Views il est mentionné (avec ironie, tout de même !) que même les miroirs contiennent des sous-produits animaux et qu’un vrai vegan évite donc de laisser son image s’y refléter.

Les critères mis en avant frappent par leur formalisme. Le miel est proscrit parce que c’est un produit animal ; mais le sucre est accepté (en dehors du problème mentionné ci-dessus) malgré les insectes tués lors de la culture et de la récolte de la canne. On refusera tel dessert au soja coloré à la cochenille (extrait d’insectes broyés) ; mais on n’hésitera pas pour se procurer une autre marque plus vegan à faire des kilomètres supplémentaires en voiture.
Les insectes écrasés en chemin ne comptent pas, parce qu’on ne les ingère pas – on ne pollue pas son corps (son estomac, il suffit de recracher au cas où ce serait arrivé !).

On semble accorder plus d’importance aux microgrammes de vitamine à la lanoline dans les corn-flakes Kellog’s qu’aux tonnes de viande que mangent, comme tout le monde, les travailleurs de chez le même Kellog’s – pourtant, c’est aussi avec notre argent qu’ils les mangent. »

Cette problématique n’a rien de nouveau. Elle est déjà une question soulevée lors des débats religieux entre les jaïns et les bouddhistes. Voici ce qu’en dit Heinrich Zimmer dans le grand classique qu’est « Les philosophies de l’Inde » :

« Si, par exemple, un moine jaina avale un morceau de viande par inadvertance en mangeant la nourriture qu’il a recueillie dans son bol durant son tour d’aumônes quotidien (aux portes de toute ville, de tout village qu’il lui arrive de traverser dans le cours de son pèlerinage sans but ni foyer), le cristal de sa monade se souille automatiquement d’un influx sombre, conséquence mécanique de ce qu’il a goûté à la chair d’une bête tuée.
Partout où l’ascète jaina marche, il doit faire place nette devant ses pieds avec un petit balai en sorte que ses talons n’écrasent pas quelque minuscule être vivant.

Au contraire, le moine bouddhiste marche sans balai. On lui enseigne à être vigilant, non pas tant sur l’endroit où il met ses pieds que sur ses sentiments et ses intentions. Il doit être « pleinement conscient et plein de contrôle de soi-même », l’esprit en éveil, attentif, le sens de ses responsabilités constamment en alerte.

En ce qui concerne la viande, il n’est fautif que s’il la désire ou si l’animal a été tué exprès pour lui et qu’il le sache. Mais s’il lui arrive simplement d’en recevoir quelques bribes avec le riz qu’on lui offre, il peut les avaler avec le reste du plat sans être souillé ».

Ainsi, l’article « antispéciste » reproche aux puristes d’être des jaina et utilise la même argumentation que les bouddhistes. Mais on peut très bien – et on doit le faire par ailleurs – considérer que ces deux expressions morales d’il y a des centaines d’années sont dépassées.

On peut très bien voir que le bouddhisme aboutit ici au relativisme, et que, non, de la viande mangée par inadvertance n’est pas morale, même 1 % de produit animal c’est de la trahison !

Et on peut très bien argumenter contre le jainisme que le but n’est pas une pureté mystique mais bien une philosophie de la vie quotidienne éminemment concrète.

Il est tout à fait juste d’être strict dans le véganisme, c’est la base de toute morale que d’être complète. Mais c’est une perspective universelle et non pas « spirituelle » : cela touche la vie sur la planète, et donc cela va de pair avec l’engagement, pas avec le repli personnel sur la « pureté », même si celle-ci est nécessaire.

Quant aux esprits tièdes, eux esprits timorés, aux gens incapables d’assumer, qu’ils avancent! Mais qu’ils n’aillent pas tenter de corrompre, à coups de constructions intellectuelles justifiant le libéralisme!