Le militantisme à « l’anglo-saxonne »

Il y a plein de gens formidables faisant un travail de fond, changeant les choses dans leurs fondements mêmes, en affrontant les gens tels qu’ils sont. Cela s’appelle un travail démocratique et c’est cela le noyau dur de toute activité authentique.

Mais dans notre société ceux et celles qui font ce travail sont isolés et anonymes, quand ils ne sont pas méprisés, ostracisés. On n’échappe à la domination de la célébration des egos et au culte de l’apparence.

Ainsi, c’est un aspect de plus en plus prégnant à la fois dans l’activisme écologiste, du moins en faveur du climat, et dans celui lié à la question animale en général. Il existe une tendance très marquée à agir de manière « hors-sol », en étant ouvertement déconnectée de la situation locale ou nationale, pour s’appuyer sur des tendances liées aux réseaux sociaux.

En voici un exemple. Personne en France ne connaît la « Official Animal Rights March », dont voici le logo. Et pourtant c’est une manifestation annuelle qui ce mois d’août a rassemblé des petits cortèges à Londres, Berlin, Amsterdam, Copenhague, Athènes, Helsinki, Milan, Dublin, Cologne, Istanbul, Zurich, Oslo, Vienne, Bruxelles, Prague, Sofia, Varsovie, Ljubljana, Bucarest, Toronto, New York, Dallas, Miami, Séoul, Manille, Perth, Auckland, Osaka, etc.

Pourquoi, comment? C’est très simple : le groupe à l’origine de cela – une sorte de structure vegan à la sauce éducative activiste anglo-saxonne – envoie des gens un peu partout pour monter une manifestation dans des grandes villes. Tout est donné clef en main. C’est totalement hors-sol. Donc, pour des gens consommateurs, cela marche.

C’est une véritable tendance de fond et il ne faut pas se voiler la face. Aucune structure qui fait un travail de terrain n’a réussi ces dernières années à progresser numériquement dans les questions de l’écologie ou des animaux, à part en s’appuyant sur les réseaux sociaux et les médias. L214, 269, Extinction Rebellion, Youth for climate… toutes ces structures sont nées de raisonnements à la va vite faits sur les réseaux sociaux, de passions poussées par la « crédibilité » virtuelle.

Toutes ces structures vivent d’ailleurs d’une fuite en avant pour le bruit médiatique. Et ils sont prêts à tout, même à aller en Chine sans contact et sans parler chinois, comme le relate candidement ici un membre de « DxE France » dans une interview à la revue des bobos Les inrocks :

En général nous enquêtons dans des élevages Français mais, au mois de juillet, nous sommes partis en Chine avec l’aide de l’association Stéphane Lamart, qui a financé le voyage.

On voulait aller filmer dans un élevage de chiens destinés à la consommation, pour interpeller la population. Une minorité de la population en Chine consomme du chien, mais, en Europe, c’est considéré comme quelque chose de choquant. On voulait donc montrer comment se passe l’abattage d’animaux que nous considérons comme des compagnons, qui sont proches de nous, parce que cela touche plus.

L’idée avec cette enquête était de dire que ça se passe pareil chez nous pour les cochons, les vaches et les poulets, et que si on est choqué pour les chiens, il n’y a pas de raison de ne pas l’être pour les autres animaux.

Nous n’avons finalement pas pu faire de vidéo dans un abattoir de chiens, parce qu’aucune association locale n’a bien voulu nous donner une adresse, de peur que les autorités fassent fermer leurs refuges. Par ailleurs, en ne parlant pas chinois, c’était un peu compliqué. Mais nous avons pu aller dans un refuge qui recueille des chiens sauvés par des activistes chinois, ainsi que sur un marché aux chiens.

Jamais par la population, toujours par en haut, jamais par la raison, toujours par l’affect. Les animaux sont ici les otages pour beaucoup d’une sorte de crise existentielle face à l’horreur du monde, mais dans le refus de toute perspective concrète de changement. La révolution? Jamais entendu parler. Le peuple, la démocratie? Connais pas.

Pour cette raison, face à cette déferlante, il n’y a pratiquement pas de place pour quelque chose de construit, de conscient, de raisonné. Parce que les gens ne font aucun effort et qu’il y a eu à chaque fois des structures virtuelles se montant en série pour siphonner les forces vives.

Pas étonnant qu’il n’y ait personne dans les refuges, et autant de monde pour toutes les initiatives bruyantes qui ne changent rien à rien !

La seule exception, et de taille, c’est AVA, dont le mouvement contre la chasse à courre a des fondements résolument ancrés dans les situations locales, d’où sa force.

Mais eux-mêmes doivent faire face à ces tendances de repli sectaire et folklorique. Ainsi, des gens qui, en Bretagne, ont quitté AVA, ce qui est par définition regrettable, ont formé un groupe avec comme nom… « Forest Keepers », soit les gardiens de la forêt en anglais. C’est bien connu, en Bretagne, on parle anglais.

Il y a deux raisons à cela à ce constat d’échec général, à part donc AVA :

– les gens sont fainéants et fonctionnent à l’affect seulement ;

– ils sont passifs et consommateurs ;

– ils veulent la reconnaissance de leur ego.

Les gens font donc confiance à ce qui fait du bruit dans les médias et sur les réseaux sociaux. Leur mot d’ordre : je te valorise, tu me valorises. Cela marche entre les gens, cela marche avec les « causes ». C’est du donnant-donnant, uniquement du donnant-donnant.

La raison des gens s’efface, s’annule, disparaît totalement devant Greta Thunberg, une construction d’ONG de bout en bout, parce qu’on la vend comme une adolescente suédoise ayant tout fait d’elle-même. Sa pseudo-pureté devient la pureté des gens qui la soutiennent. C’est donnant-donnant.

Et pour les personnes sur le terrain, le vrai, comment exister quand quelqu’un comme elle est lancée par une semi-ONG avec une chaîne youtube, reprise directement par un représentant d’une grande banque (Nordea, en Finlande) qui a 200 000 personnes suivant son compte twitter?

Et le succès médiatique nourrit le succès médiatique. Ainsi Amnesty International a remis prix Ambassadeur de conscience pour l’année 2019 à Greta Thunberg et Fridays for Future.

Rappelons qu’en juillet 2019, Greta Thunberg était également accueilli en star à l’Assemblée Nationale. c’est un vrai déni de démocratie.

A chaque fois le processus a été le même : le militantisme est donné clef en main, avec logos, slogans, mots d’ordre, ligne mono-thématique. A cela s’associe un soutien sur les réseaux sociaux et une crédibilité au moyen d’actions symboliques « chocs ».

Cela ne veut pas dire que cela marche tout le temps. PeTA France a cette démarche depuis une décennie au moins, sans jamais décoller pour autant, malgré la force de sa maison soeur américaine, malgré Pamela Anderson et le soutien de nombreuses stars avec des postures racoleuses, de partenariats plus ou moins branchés, etc.

Voici un exemple, avec les chaussures de la marque André « Peta approved » venant tout juste de sortir.

PeTA continuera sa démarche hors-sol jusqu’à réussir, quitte à avoir des va et vient incessant dans son noyau dur. Car l’approche « anglo-saxonne » vise à interpeller l’opinion publique par en haut et à accrocher ainsi un certain nombre de gens. c’est un vrai style.

Voici une photographie de la marche pour le climat du 21 septembre 2019. On y voit, à Paris, un slogan placé sur un pont. C’est une allusion au fait que l’année dernière, Emmanuel Macron a reçu le titre de « Champion de la terre », décerné par l’ONU.

Mais c’est en anglais. L’objectif de la banderole, c’est quelque chose d’au-dessus de la réalité, c’est une opinion publique virtuelle.

Voici une autre photographie. Elle est tirée d’une vidéo très récente dans le plus grand abattoir de cochons de France, avec des images insoutenables. Elle n’a eu que très peu d’écho. Là encore tout est en anglais pour cette action du groupe Direct Action Everywhere (mentionné plus haut), qui a mené l’action de manière « internationale », car sa section française n’a pas participé, préférant « les enquêtes aux manifestations et blocages ».‬ Le principe, c’est de forcer l’entrée au groupe dans chaque pays.

Dans un registre bien différent, début septembre, l’ALF a libéré des perdrix en France. Mais les signatures sont en anglais… « ALF says hi », « hunters will be hunted ».

Voici un autre exemple de ce style hors-sol.

Tout cela peut bien entendu être utile. Mais cela ne touche pas le noyau dur de la population. Cela ne touche que marginalement la société. C’est en décalage complet avec la réalité quotidienne des gens, avec les besoins d’implication concrète, anonyme, en acceptant d’être un simple rouage anonyme d’une cause qui dépasse les individus.

En fait, on a des initiatives qui sont à l’image de la société. Comme celle-ci est pourrie, rien de bon ne sort, car il faut une rupture à la base et bien peu veulent en payer le prix, par ego, besoin de reconnaissance, envie de confort, etc.