Le film Soylent Green (Soleil Vert dans sa version française) est un « classique » des films d’anticipation; sorti en 1973, il a bien entendu largement vieilli dans la forme mais sa problématique fait qu’il reste extrêmement intéressant, en plus d’avoir largement marqué les esprits.
Le scénario du film s’appuie sur un roman, intitulé en anglais « Make Room! Make Room! », de Harry Harrisson, qui imagine un futur marqué par une surpopulation massive. Mais il y ajoute différents éléments: l’utilisation massive du soja tout d’abord, et l’utilisation des cadavres humains comme source de protéïnes complémentaires.
L’influence culturelle sur le film de l’utilisation massive du soja aux USA, à partir de la première guerre mondiale et jusque les usines des voitures de Ford, mérite un article à part.
Disons simplement que la situation dans le film est la suivante: l’humanité a totalement saccagé la planète. Ceci nous est présenté au début du film, dans une succession d’images où l’on voit la « conquête de l’ouest » (américain) puis la construction des villes, des autoroutes avec des voitures partout, les usines et la pollution, etc.
Dans ce contexte, il y a surpopulation et la ville de New York a 40 millions de personnes s’y entassant comme elles peuvent. Seule une petite élite s’en sort (en ayant l’eau courante, des biens de consommation courants, des appartements, de la nourriture comme « avant », etc.), en étant protégée par une police à son service et qui forme une sorte de classe moyenne.
Le film tourne autour d’un policier « intègre » justement, qui va découvrir comment est fabriqué le « Soylent Green. » Car les masses qui ne connaissent ni « viande » ni légumes se nourrisent d’aliments produits par la compagnie « Soylent ». « Soylent » est la contraction de « soybean-lentil » (« Soja – Lentilles »).
Théoriquement le Soylent Green est produit à partir de soja et de plancton, mais en réalité les océans ont été assassinés. C’est ce que le policier découvre lors de son enquête. Ce qui fait qu’il y a en fait récupération des cadavres, tant des gens morts que des gens allant dans des centres spéciaux pour se suicider, ou encore des gens ramassés par de véritables bulldozers lors des émeutes de la faim.
L’univers de Soylent Green est ultra violent et ne montre aucune perspective pour s’en sortir, les êtres humains ayant anéanti la planète. La génération « Soleil Vert » ne connaît qu’une bataille pour la survie, et seuls s’en sortent les riches et le personnel à leur service (tant les policiers que les « femmes-mobiliers » servant de faire-valoir et de prostituées).
Le film oscille entre deux perspectives: d’un côté, une critique sociale, et de l’autre une nostalgie pure et simple. On voit ainsi le policier voler des aliments lors de son enquête, et son ami plus âgé lui cuisine la viande de boeuf volée, qu’ils consomment en buvant de l’alcool également volé. Cet ami plus âgé est ici une figure réactionnaire, qui cultive le passé, qui a la nostalgie d’avant.
Il y a une tonalité fataliste dans le film: avant on pouvait vivre, mais l’humain est ainsi fait qu’il détruit. La morale du film pourrait se résumer à « Dieu crée, l’homme détruit. » Le prêtre a une grande importance culturelle dans le film: il est terriblement choqué par la découverte de ce qu’est le Soylent Green, alors que son église est déjà pleine de personnes sans abri.
Dans la même idée, mais de manière plus critique, on voit que l’ami du policier décide de se suicider quand il apprend la vérité. Il veut rejoindre Dieu qui l’a créé (quitte à se suicider, ce à quoi en tant que juif il n’a pas le droit), mais c’est également une critique de l’humanité elle-même.
D’ailleurs lorsque ce vieux bibliothécaire juif va dans le centre consacré au suicide, il est montré comme une sorte de Socrate buvant un poison. On le voit ainsi pleurer le temps que le poison agisse, alors qu’il est dans une salle diffusant sur tous les murs un film montrant la nature telle qu’elle était avant: les oiseaux, les forêts, les cascades, les océans…
On remarque d’ailleurs que les seules autres personnes critiques sont des vieilles femmes dans des bibliothèques, ce qui donne une tonalité assez féministe dans un film malheureusement tournant sinon toujours autour du personnage principal, joué par Charlton Heston.
La fin est justement marquée par la figure de Charlton Heston, dont le personnage très grièvement blessé explique en quelque sorte avant de mourir que le Soylent Green consiste en des cadavres (« Soylent green is people »), et qu’il y a le risque que les humains soient élevés comme du bétail.
Il apparaît ainsi comme le « seul humain » se rebellant alors que les gens seraient une sorte de brute collective, sans mémoire ni conscience, sans volonté ni morale. Il n’est donc pas étonnant que la question animale ne soit pas posée, alors qu’en fait elle se pose dans tout le film!
Un remake de ce film est en cours et devrait sortir en 2012.